dit ce qu'il pensait du tout et de ses parties, et la, ce qu'il
pensait n'etait pas le nominalisme. En traitant des conceptions, il a
profondement distingue l'intelligence de la sensation, et attribuant a
la premiere la conception des choses dont, sans elle, nous n'aurions
qu'une image, il a montre l'intelligence suscitee et secondee par les
sens, mais produisant spontanement ses idees qui, pour etre valables,
n'ont pas besoin, comme la sensation, de se rapporter a des realites
individuelles. Les universaux, pour etre les notions de quelque chose de
plus et d'autre que les realites individuelles, ne sont donc des idees
ni fausses, ni creuses, ni vaines, et ils peuvent etre valables et
solides, sans supposer des essences generales dont la conception est
toujours equivoque et gratuite. La, il s'est montre conceptualiste, mais
sans trace de scepticisme: il n'a donc pas ete vrai nominaliste.
Voici maintenant un traite special sur la question. Il est dans nos
mains, du moins en grande partie, sous ce titre: _De Generibus et
Speciebus_[26]. Je suis porte a croire que ce titre n'est pas le
veritable, ou qu'il n'indique pas completement le sujet de l'ouvrage,
qui probablement embrassait toute la question. Ainsi les six ou sept
premieres pages roulent sur _le tout_; elles sont sans doute un debris
d'une portion d'ouvrage dirigee contre la doctrine de Roscelin sur le
tout et les parties. On peut supposer qu'une autre portion du livre
traitait _des formes_. Un fragment d'un manuscrit recemment publie nous
apprend, ce que temoignait deja plus d'un passage de la Dialectique,
que les formes aussi (les attributs constitutifs et essentiels) etaient
defendues par Abelard contre les atteintes du nominalisme, et ce
fragment, redige par un de ses partisans, pourrait bien contenir des
passages recueillis litteralement a ses lecons, ou extraits de ses
ecrits[27]. Il n'est pas impossible que de nouvelles recherches dans les
bibliotheques un peu riches en manuscrits de l'epoque, nous valussent le
traite entier ou quelque edition d'un autre traite sur la question qui
avait le plus exerce son esprit et signale son enseignement. On verra
que nous avons pu nous-meme consulter sur ce sujet un manuscrit
d'Abelard que ne mentionne aucun catalogue.
[Note 26: _P. Abaelardi fragmentum sangermanense de Generibus et
Speciebus._ Ouvr. ined., p. 507-550. M. Cousin, qui a publie ce morceau
precieux et inconnu, l'a decouvert a la bibliotheque du Roi dans
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