ille-la. Mais qui entre ici? quelle est cette merveille de la nature?
--Dieu me pardonne! c'est Argiria Ezzelini, si grandie, si changee depuis
un an que son deuil la tient enfermee loin des regards, que personne ne
reconnait plus dans cette belle femme l'enfant du palais Memmo.
--C'est certainement la perle de Venise," dit la dame, qui n'eut garde de
ceder la partie aux petites vengeances de son amant; et pendant un quart
d'heure elle rencherit avec effusion sur les eloges qu'il affecta de
donner a la beaute sans egale d'Argiria.
Il est vrai de dire qu'Argiria meritait l'admiration de tous les hommes et
la jalousie de toutes les femmes. La grace et la noblesse presidaient a
ses moindres mouvements. Sa voix avait une suavite enchanteresse, et je ne
sais quoi de divin brillait sur son front large et pur. A peine agee de
quinze ans, elle avait la plus belle taille que l'on put admirer dans tout
le bal; mais ce qui donnait a sa beaute un caractere unique, c'etait un
melange indefinissable de tristesse douce et de fierte timide. Son regard
semblait dire a tous: Respectez ma douleur, et n'essayez ni de me
distraire ni de me plaindre.
Elle avait cede au desir de sa famille en reparaissant dans le monde; mais
il etait aise de voir combien cet effort sur elle-meme lui etait penible.
Elle avait aime son frere avec l'enthousiasme d'une amante et la chastete
d'un ange. Sa perte avait fait d'elle, pour ainsi dire, une veuve; car
elle avait vecu avec la douce certitude qu'elle avait un appui, un
confident, un protecteur humble et doux avec elle, ombrageux et severe
avec tous ceux qui l'approcheraient; et maintenant elle etait seule dans
la vie, elle n'osait plus se livrer aux purs instincts de bonheur qui font
la jeunesse de l'ame. Elle n'osait, pour ainsi dire, plus vivre; et, si un
homme la regardait ou lui adressait la parole, elle etait effrayee en
secret de ce regard et de cette parole qu'Ezzelin ne pouvait plus
recueillir et scruter avant de les laisser arriver jusqu'a elle. Elle
s'entourait donc d'une extreme reserve, se mefiant d'elle-meme et des
autres, et sachant donner a cette mefiance un aspect touchant et
respectable.
La jeune dame qui avait parle d'elle avec tant d'admiration voulut depiter
son amant jusqu'au bout, et, s'approchant d'Argiria, elle lia conversation
avec elle. Bientot tout le groupe qui s'etait forme sur le balcon aupres
de la dame se reforma autour de ces deux beautes, et se grossit assez pour
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