dans une coupe de vermeil, et tirant de sa poche une botte de
cristal, elle y prit une poudre rougeatre qu'elle jeta dans le vin.
"Bois cela, mon enfant, dit-elle a Perlino, et donne-moi ton gout."
Perlino, qui faisait tout ce qu'on lui disait, avala la liqueur d'un
seul trait.
"Pouah! s'ecria-t-il, ce breuvage est abominable, c'est une odeur de
boue et de sang, c'est du poison.
--Niais! dit la marquise, c'est de l'or potable; qui en a bu une fois en
boira toujours. Prends ce second verre, tu le trouveras meilleur que le
premier."
La dame avait raison; a peine l'enfant eut-il vide la coupe, qu'il fut
pris d'une soif ardente.
"Encore! disait-il, encore!
Il ne voulait plus quitter la table. Pour le decider a se coucher,
il fallut que la marquise lui fit un grand cornet de cette poudre
merveilleuse, qu'il mit soigneusement dans sa poche, comme un remede a
tous les maux.
[Illustration]
Pauvre Perlino! c'etait bien un poison qu'il avait pris, et le plus
terrible de tous. Qui boit de l'or potable, son coeur se glace tant que
le fatal breuvage est dans l'estomac. On ne connait plus rien, on n'aime
plus rien, ni pere, ni mere, ni femme, ni enfants, ni amis, ni pays; on
ne songe plus qu'a soi; on veut boire, et on boirait tout l'or et tout
le sang de la terre sans etancher une soif que rien ne peut assouvir.
Cependant que faisait Violette? Le temps lui semblait aussi long qu'au
pauvre un jour sans pain. Aussi, des que la nuit eut mis son masque
noir pour ouvrir le bal des etoiles, Violette courut-elle a la porte de
Perlino, bien sure qu'en la voyant Perlino se jetterait dans ses bras.
Comme son coeur battait quand elle l'entendit monter! quel chagrin quand
l'ingrat passa devant elle sans meme la regarder!
La porte fermee a double tour et la clef retiree, Violette se jeta sur
une natte qu'on lui avait donnee par pitie; la elle se mit a fondre en
larmes, se fermant la bouche avec les mains pour etouffer ses sanglots.
Elle n'osait se plaindre, de crainte qu'on ne la chassat; mais, quand
vint l'heure ou les etoiles seules ont les yeux ouverts, elle gratta
doucement a la porte et chanta a demi-voix:
[Illustration]
Perlino, m'entends-tu? C'est moi qui te delivre,
Ouvre-moi!
Viens vite, je t'attends: ami je ne puis vivre
Loin de toi.
Ouvre-moi! mon coeur te desire;
Je brule, j'ai froid, je soupire;
Tout le jour
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