s esclaves, paiens et
chretiens, et qu'on les presente a la torture pour les contraindre a
deposer contre leurs patrons. C'est ce qui se fit a Lyon, et aussitot
parurent ces accusations stupides, que dans tous les temps on a imputees
aux gens que poursuit la haine publique. "Les chretiens, disaient les
esclaves, se reunissent a des banquets communs; la on egorge un enfant
et on en boit le sang." C'est ce qu'on nommait les festins de Thyeste,
en souvenir de ce personnage fabuleux a qui son frere Atree, par une
vengeance abominable, fit servir la chair meme de son fils. De pareilles
calomnies sont si odieuses qu'il semble impossible de les croire. Mais
la haine ne raisonne pas.
Parmi les esclaves arretes a Lyon, il y avait une femme nommee Blandine;
c'etait une chretienne que sa maitresse avait convertie. Elle etait
de petite taille, faible et delicate; aussi sa maitresse, qui avait
vaillamment affronte la torture, craignait-elle que la pauvre esclave ne
fut pas de force a combattre avec le bourreau. C'etait le souci de tous
les freres (ainsi se nommaient entr'eux les chretiens); tous, captifs ou
non, assistaient a ce terrible spectacle, pour s'encourager les uns les
autres et s'animer a mourir pour la verite.
On livra Blandine aux bourreaux; c'etait une esclave; on n'avait rien a
menager avec ces creatures que dedaignait l'orgueil antique. Les Romains
avaient moins de souci d'un esclave que nous n'en avons aujourd'hui d'un
boeuf ou d'un cheval. Blandine fut mise a la torture; il semblait que du
premier coup on allait briser ses membres delicats, ou forcer la pauvre
femme a crier grace; mais l'esprit de Jesus-Christ l'animait; elle
resista avec un courage heroique et une force surhumaine. Depuis le
point du jour jusqu'au coucher du soleil, supplices et bourreaux se
succederent; on s'acharna sur ce corps dechire de coups et qui n'avait
deja plus forme humaine; on le lacera avec des ongles de fer; on le
troua de toutes parts; plus d'une fois le chevalet rompit sous l'effort
des cordes qui tendaient les membres de la victime, rien ne put reduire
la noble martyre. "Elle etait, dit le recit contemporain, comme un
genereux athlete. La douleur meme ranimait ses forces et son courage. On
eut dit qu'elle oubliait ses souffrances et qu'elle trouvait le repos
et une energie nouvelle dans ces mots, qu'elle repetait sans cesse: _Je
suis chretienne; chez nous on ne fait rien de mal._"
Quand la nuit fut venue, on la jeta pele-mele
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