par amitie.
"Eh bien, la mere, etes-vous contente? lui dis-je, quand tous nos
preparatifs furent acheves.
--Oui, mon fils, dit-elle; tu es un bon garcon, je veux te recompenser.
Donne-moi ta main."
Elle me prit la main, la retourna, et se mit a en suivre toutes les
lignes, comme si elle allait me dire la bonne aventure.
"Assez, la mere! lui dis-je en retirant ma main, je suis chretien, je ne
crois pas a tout cela.
--Tu as tort, mon fils, je t'en aurais dit bien long; car, si pauvre et
si vieille que je sois, je suis d'un peuple qui sait tout. Nous autres
gitanos, nous entendons des voix qui vous echappent, nous parlons avec
les animaux de la terre, les oiseaux du ciel et les poissons de la mer.
[Illustration]
--Alors, lui dis-je en riant, vous savez l'histoire et les malheurs de
ce poulet que j'ai plume?
--Non, dit la vieille, je ne me suis pas souciee de l'ecouter, mais, si
tu veux, je te conterai l'histoire de son frere; tu y verras que tot ou
tard on est puni par ou on a peche, et que jamais un ingrat n'echappe au
chatiment."
Elle me dit ces derniers mots d'une voix si sombre que je tressaillis;
puis elle commenca le conte que voici.
III
HISTOIRE DE COQUERICO[1]
[Note 1: On trouve cette histoire, fort populaire en Espagne, contee
avec quelque difference, dans un des plus jolis romans de Fernand
Caballero, _le Gaviota, ou la Mouette_.]
Il y avait une fois une belle poule qui vivait en grande dame dans la
basse-cour d'un riche fermier; elle etait entouree d'une nombreuse
famille qui gloussait autour d'elle, et nul ne criait plus fort et ne
lui arrachait plus vite les graines du bec qu'un petit poulet difforme
et estropie. C'etait justement celui que la mere aimait le mieux; ainsi
sont faites toutes les meres: leurs preferes sont les plus laids. Cet
avorton n'avait d'entiers qu'un oeil, une patte et une aile; on eut dit
que Salomon eut execute sa sentence memorable sur Coquerico (c'etait le
nom de ce chetif individu) et qu'il l'eut coupe en deux du fil de sa
fameuse epee. Quand on est borgne, botteux et manchot, c'est une belle
occasion d'etre modeste; notre gueux de Castille etait plus fier que son
pere, le coq le mieux eperonne, le plus elegant, le plus brave et le
plus galant qu'on ait jamais vu de Burgos a Madrid. Il se croyait un
phenix de grace et de beaute, et passait les plus belles heures du jour
a se mirer au ruisseau. Si l'un de ses freres le heurtait par hasard,
il lui
|