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yeux du maitre. Le pere appela sa fille et lui dit:
"Voici du fil, tu le prepareras pour ces deux ouvriers."
La fille obeit a son pere; elle prit le fil et s'assit pres des jeunes
gens.
Mais la belle etait fine: le pere ne savait pas qui elle aimait; les
jeunes gens ne le savaient pas davantage; mais la jeune fille le savait
deja. Le tailleur sortit; la jeune fille prepara le fil, les jeunes gens
prirent leurs aiguilles et commencerent a coudre. Mais a celui qu'elle
aimait (tu m'entends) la belle donnait des aiguillees court, tandis
qu'elle donnait des aiguillees longues a celui qu'elle n'aimait pas.
Chacun cousait, cousait avec une ardeur extreme; a onze heures, l'oeuvre
etait a peine a moitie; mais a trois heures de l'apres-midi, mon ami,
le jeune homme aux courtes aiguillees avait acheve sa tache, tandis que
l'autre etait bien loin d'avoir fini.
[Illustration]
Quand le tailleur rentra, le vainqueur lui porta le vetement termine;
son rival cousait toujours.
"Mes enfants, dit le pere, je n'ai voulu favoriser ni l'un ni l'autre
d'entre vous, c'est pourquoi j'ai partage cette piece de drap en deux
portions egales, et je vous ai dit: Celui qui finira le premier sera mon
gendre. Avez-vous bien compris cela?
--Pere, repondirent les deux jeunes gens, nous avons compris ta parole
et accepte l'epreuve; ce qui est fait est bien fait."
Le tailleur avait raisonne ainsi: "Celui qui finira le premier sera
l'ouvrier le plus habile; par consequent, ce sera lui qui soutiendra
le mieux son menage;" il n'avait pas devine que sa fille ferait des
aiguillees courtes pour celui qu'elle aimait et des aiguillees longues
pour celui dont elle ne voulait pas. C'etait l'esprit qui decidait
l'epreuve, c'etait la belle qui se choisissait elle-meme son mari.
Et maintenant, avant de conter mon histoire aux belles dames d'Europe,
demande-leur ce qu'elles auraient fait a la place de la negresse; tu
verras si la plus fine n'est pas embarrassee.
Tandis que le tailleur me contait son mariage, sa femme etait entree et
travaillait sans rien dire, comme si ce recit ne la concernait pas.
"Les filles de votre pays ne sont pas betes, lui dis-je en riant; il me
semble qu'elles ont plus d'esprit que leurs maris.
--C'est que nous avons recu de nos meres une bonne education, me
repondit-elle. On nous a toutes bercees avec l'histoire de la Belette.
--Contez-moi cette histoire, je vous en prie; je l'emporterai aussi en
Europe, pour
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