ait, plus elle insistait pour connaitre la cause de sa
gaiete. A la fin, il lui dit:
"Sache donc que si je revelais ce qui m'a fait rire, je mourrais a
l'instant meme."
Mais cela n'arreta pas la dame; plus que jamais elle tourmenta son mari
pour qu'il parlat.
Ils arriverent a la maison. En descendant de cheval, le mari commanda
qu'on lui fit une biere; quand elle fut prete, il se mit devant la
maison et dit a sa femme:
"Vois, je vais me mettre dans cette biere, je te dirai alors ce qui m'a
fait rire; mais aussitot que j'aurai parle, je serai un homme mort."
Et alors il se mit dans la biere, et comme il regardait une derniere
fois autour de lui, voici le vieux chien de la ferme qui s'approche de
son maitre et qui pleure. Quand le pauvre homme vit cela, il appela sa
femme et lui dit:
"Apporte un morceau de pain et donne le au chien."
La femme jeta un morceau de pain au chien, qui ne le regarda meme pas.
Et voici le coq de la maison qui accourt et qui pique le pain et alors
le chien lui dit:
"Miserable gourmand, peux-tu manger quand tu vois que le maitre va
mourir!"
Et le coq lui dit:
"Qu'il meure! puisqu'il est assez sot pour cela. J'ai cent femmes; je
les appelle toutes quand je trouve le moindre grain et aussitot qu'elles
arrivent, c'est moi qui le mange; s'il y en avait une qui s'avisat de le
trouver mauvais, je la corrigerais avec mon bec; et lui, qui n'a qu'une
femme, n'a pas l'esprit de la mettre a la raison!"
[Illustration]
Aussitot que le mari entend cela, il saute bien vite a bas de la biere,
il prend un baton et appelle sa femme dans la chambre:
"Viens, je te dirai ce que tu as si grande envie de savoir."
Et alors il la raisonne a coups de baton en disant:
"Voila, ma femme, voila!"
C'est de cette facon qu'il lui repondit, et jamais depuis la dame n'a
demande a son epoux pourquoi il avait ri.
X
CONCLUSION
Telle fut la derniere histoire du Dalmate; ce fut aussi la derniere de
celles que, ce jour-la, me conta le capitaine. Le lendemain il y en eut
d'autres, et d'autres encore le surlendemain.
Le marin avait raison, sa bibliotheque etait inepuisable; sa memoire ne
se troublait jamais; sa parole ne s'arretait pas; mais a toujours conter
on ennuie le lecteur; d'ailleurs, il faut garder quelque chose pour
l'annee prochaine. Peut-etre alors retrouverons-nous le capitaine et
demanderons-nous des lecons a sa douce sagesse.
En attendant, chers lecteurs, je me separe
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