maison, il dit a la jeune fille:
"Je veux t'epouser, car tu es la reine des filandieres."
La veille du mariage, la pretendue fileuse dit a son mari:
"Il faut que j'invite mes tantes."
Et le seigneur repondit qu'elles seraient les bienvenues.
Une fois entrees, les trois sorcieres se mirent aupres du poele; elles
etaient horribles; quand le seigneur les eut vues dans toute leur
laideur, il dit a sa fiancee:
"Tes tantes ne sont pas belles."
Puis, s'approchant de la premiere sorciere, il lui demanda pourquoi elle
avait un nez si long.
"Mon cher neveu, repondit-elle, c'est a force de filer. Quand on file
toujours et que toute la journee on branle la tete, le nez s'allonge
insensiblement."
[Illustration]
Le seigneur passa a la seconde et lui demanda pourquoi elle avait de si
grosses levres.
"Mon cher neveu, repondit-elle, c'est a force de filer. Quand on
file toujours et que toute la journee on mouille son fil, les levres
grossissent insensiblement."
Alors il demanda a la troisieme pourquoi elle etait bossue.
"Mon cher neveu, lui dit-elle, c'est a force de filer. Quand on est
assise et courbee toute la journee, le dos se plie insensiblement."
Et alors le seigneur eut grand'peur que sa femme ne devint aussi
horrible a force de filer, il jeta au feu quenouille et fuseau. Si
la paresseuse en fut fachee, je le laisse a deviner a celles qui lui
ressemblent, j'en passe par leur jugement.
[Illustration]
"Je vois avec plaisir, dis-je a mon conteur, qu'en Dalmatie les femmes
reussissent sans peine et sans esprit.
--Pas du tout, s'ecria mon insupportable conteur, il n'y a pas de pays
au monde ou les femmes soient tout a la fois plus fines et plus sages.
Ne savez-vous donc pas comment la fille d'un mendiant epousa l'empereur
d'Allemagne, et, tout empereur qu'il fut, se montra plus habile et
meilleure que lui?
--Encore un conte! m'ecriai-je.
--Non pas un conte, reprit-il, mais une histoire; vous la trouverez dans
tous les livres qui disent la verite".
De la demoiselle qui etait plus avisee que l'empereur
[Illustration]
Il y avait une fois un pauvre homme qui vivait dans une cabane; il
n'avait avec lui qu'une fille, mais elle etait tres avisee; elle allait
partout chercher des aumones, et apprenait aussi a son pere a parler
avec sagesse et a obtenir ce qu'il lui fallait. Un jour il advint que
le pauvre homme alla vers l'empereur et le pria de lui donner quelque
chose. L'empereur, sur
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