sans pitie: ils nous coupent le cou sans nous laisser le temps
de dire _miserere_! Et maintenant, mon enfant, ajouta-t-elle en levant
la patte, recois ma benediction et que saint Jacques te protege! c'est
le patron des pelerins."
Coquerico ne fit pas semblant de voir qu'il y avait une larme dans
l'oeil de sa mere; il ne s'inquieta pas davantage de son pere, qui
cependant dressait sa crete au vent et semblait l'appeler; sans se
soucier de ceux qu'il laissait derriere lui, il se glissa par la porte
entr'ouverte; a peine dehors, il battit de l'aile et chanta trois fois
pour celebrer sa liberte: _Coquerico! coquerico! coquerico!_
[Illustration]
Comme il courait a travers champs, moitie volant, moitie sautant, il
arriva au lit d'un ruisseau que le soleil avait mis a sec. Cependant,
au milieu du sable, on voyait encore un filet d'eau si mince que deux
feuilles tombees l'arretaient au passage.
Quand le ruisseau apercut notre voyageur, il lui dit:
"Mon ami, tu vois ma faiblesse; je n'ai meme pas la force d'emporter ces
feuilles qui me barrent le chemin encore moins de faire un detour, car
je suis extenue. D'un coup de bec tu peux me rendre la vie. Je ne suis
pas un ingrat; si tu m'obliges, tu peux compter sur ma reconnaissance au
premier jour de pluie, quand l'eau du ciel m'aura rendu mes forces.
--Tu plaisantes! dit Coquerico. Ai-je la figure d'un balayeur de
ruisseau? Adresse-toi a gens de ton espece, ajouta-t-il; et, de sa bonne
patte, il sauta par-dessus le filet d'eau.
"Tu te souviendras de moi quand tu y penseras le moins!" murmura le
ruisseau, mais d'une voix si faible que l'orgueilleux ne l'entendit pas.
Un peu plus loin notre maitre coq apercut le Vent tout abattu et tout
essouffle.
"Cher Coquerico, lui dit-il, viens a mon aide; ici-bas on a besoin les
uns des autres.
Tu vois ou m'a reduit la chaleur du jour; moi qui, en d'autres temps,
deracine les oliviers et souleve les mers, me voila tue par la canicule.
Je me suis laisse endormir par le parfum de ces roses avec lesquelles je
jouais, et me voici par terre presque evanoui. Si tu pouvais me lever
a deux pouces du sol avec ton bec, et m'eventer un peu avec ton aile,
j'aurais la force de m'elever jusqu'a ces nuages blancs que j'apercois
la-haut, pousses par un de mes freres, et je recevrais de ma famille
quelque secours qui me permettrait d'exister jusqu'a ce que j'herite du
premier ouragan.
[Illustration]
--Monseigneur, repondit le maudit C
|