r, nous etions sortis tous les deux a cheval; le
cheval de ma femme se defendait; elle eut peur; elle mit
pied a terre et me pria de le ramener en main, tandis qu'elle
[25]regagnerait le chateau a pied. A la porte, je trouvai une
caleche de voyage. On m'annonca que, dans mon cabinet,
il y avait un homme qui n'avait pas voulu decliner son
nom, et qui avait dit seulement qu'il avait a me parler
d'affaires. J'entrai dans cette chambre-ci, et, dans le
[30]demi-jour, je vis un homme a longue barbe et couvert de
poussiere, debout devant la cheminee. Je m'approchai,
cherchant a me rappeler ses traits.
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"-- Tu ne me reconnais pas, comte? me dit-il d'une voix
Tremblante.
"-- Silvio! m'ecriai-je.
"Et, je vous l'avouerai, je crus sentir mes cheveux se
[5]dresser sur mon front.
"-- Precisement, continua-t-il, et c'est a moi de tirer.
Je suis venu decharger mon pistolet. Es-tu pret?
"J'apercus un pistolet qui sortait de sa poche de cote.
Je mesurai douze pas, et j'allai me placer la, dans cet angle,
[10]en le priant de se depecher de tirer avant que ma femme
rentrat. Il ne voulut pas et demanda de la lumiere. On
apporta des bougies.
"Je fermai la porte, je dis qu'on ne laissat entrer personne,
et, de nouveau, je le sommai de tirer. Il leva son
[15]pistolet et m'ajusta... Je comptais les secondes... Je
pensais a elle... Cela dura une effroyable minute. Silvio
baissa son arme.
"-- J'en suis bien fache, dit-il, mais mon pistolet n'est
pas charge de noyaux de guignes;... une balle est dure
[20]...Mais je fais une reflexion: ce que nous faisons ne
ressemble pas trop a un duel, c'est un meurtre. Je ne
suis pas accoutume a tirer sur un homme desarme. Recommencons
tout cela; tirons au sort a qui le premier
feu.
[25]"La tete me tournait. Il parait que je refusai... Enfin,
nous chargeames un autre pistolet; nous fimes deux billets
qu'il jeta dans cette meme casquette qu'autrefois ma balle
avait traversee. Je pris un billet, et j'eus encore le
numero 1.
[30]"-- Tu es diablement heureux, comte! me dit-il avec
un sourire que je n'oublierai jamais.
"Je ne comprends pas ce qui se passait en moi, et comment
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il parvint a me contraindre,... mais je fis feu, et ma
balle alla frapper ce tableau.
Le comte me montrait du doigt la toile trouee par le
coup de pistolet. Son visage etait rouge comme le feu.
[5]La comtesse etait plus pale que son mouchoir, et, moi,
j'eus peine a retenir un cri.
--Je t
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