ls partaient a deux ou trois seulement,
ne rentraient jamais.
On les ramassait morts, au matin, dans un champ, au
bord d'une cour, dans un fosse. Leurs chevaux eux-memes
gisaient le long des routes, egorges d'un coup de
[20]sabre.
Ces meurtres semblaient accomplis par les memes
hommes, qu'on ne pouvait decouvrir.
Le pays fut terrorise. On fusilla des paysans sur une
simple denonciation, on emprisonna des femmes; on voulut
[25]obtenir, par la peur, des revelations des enfants. On ne
decouvrit rien.
Mais voila qu'un matin, on apercut le pere Milon etendu
dans son ecurie, la figure coupee d'une balafre.
Deux uhlans eventres furent retrouves a trois kilometres
[30]de la ferme. Un d'eux tenait encore a la main son
arme ensanglantee. Il s'etait battu, defendu.
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Un conseil de guerre ayant ete aussitot constitue, en
plein air, devant la ferme, le vieux fut amene.
Il avait soixante-huit ans. Il etait petit, maigre, un peu
tors, avec de grandes mains pareilles a des pinces de crabe.
[5]Ses cheveux ternes, rares et legers comme un duvet de
jeune canard, laissaient voir partout la chair du crane.
La peau brune et plissee du cou montrait de grosses veines
qui s'enfoncaient sous les machoires et reparaissaient aux
tempes. Il passait dans la contree pour avare et difficile
[10]en affaires.
On le placa debout, entre quatre soldats, devant la
table de cuisine tiree dehors. Cinq officiers et le colonel
s'assirent en face de lui.
Le colonel prit la parole en francais.
[15]--Pere Milon, depuis que nous sommes ici, nous n'avons
eu qu'a nous louer de vous. Vous avez toujours ete complaisant
et meme attentionne pour nous. Mais aujourd'hui
une accusation terrible pese sur vous, et il faut que la
lumiere se fasse. Comment avez-vous recu la blessure que
[20]vous portez sur la figure?
Le paysan ne repondit rien.
Le colonel reprit:
--Votre silence vous condamne, pere Milon. Mais je
veux que vous me repondiez, entendez-vous? Savez-vous
[25]qui a tue les deux uhlans qu'on a trouves ce matin pres du
Calvaire?
Le vieux articula nettement:
--C'est me.
Le colonel, surpris, se tut une seconde, regardant
[30]fixement le prisonnier. Le pere Milon demeurait impassible,
avec son air abruti de paysan, les yeux baisses comme s'il
eut parle a son cure. Une seule chose pouvait reveler un
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trouble interieur, c'est qu'il avalait coup sur coup sa
salive, avec un effort visible, comme si sa gorge e
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