lle, j'entr'ouvris la porte de ma chambre
pour ecouter, et voir s'il ne serait pas possible de reprendre
la clef des champs.
J'entendis quelques eclats de voix, des allees et des
[10]venues aux etages inferieurs, ce qui me convainquit que
les issues etaient bien gardees. Ma porte donnait sur le
palier, juste en face de la fenetre que l'homme avait
ouverte pour fuir. Je n'y fis d'abord pas attention...
Mais comme je restais la, tout a coup je m'apercus que la
[15]fenetre etait ouverte, qu'il n'y avait point de neige sur
son bord, et, m'etant approche, je vis de nouvelles traces
sur le mur. Cette decouverte me donna le frisson.
L'homme etait revenu!... Il revenait peut-etre toutes les
nuits: le chat, la fouine, le furet... tous les carnassiers
[20]ont ainsi leur passage habituel. Quelle revelation! Tout
s'eclairait dans mon esprit d'une lumiere mysterieuse.
"Oh! si c'etait vrai, me dis-je, si le hasard venait de me
livrer le sort de l'assassin... mes pauvres camarades seraient
sauves!"
[25]Et je suivis des yeux cette trace, qui se prolongeait avec
une nettete surprenante, jusque sur le toit voisin.
En ce moment, quelques paroles de l'interrogatoire
frapperent mes oreilles... On venait d'ouvrir la porte
de la salle pour renouveler l'air... J'entendis:
[30]"Reconnaissez-vous avoir, le 20 de ce mois, participe a
l'assassinat du sacrificateur Ulmet Elias?"
Puis quelques paroles inintelligibles.
Page 161
"Refermez la porte, Madoc, dit la voix du bailli...
refermez la porte... Madame est souffrante..."
Je n'entendis plus rien.
La tete appuyee sur la rampe, une grande resolution
[5]se debattait alors en moi.
"Je puis sauver mes camarades, me disais-je; Dieu vient
de m'indiquer le moyen de les rendre a leurs familles...
Si la peur me fait reculer devant un tel devoir, c'est moi
qui les aurai assassines... Mon repos, mon honneur,
[10]seront perdus a jamais... Je me jugerai le plus lache...
le plus vil des miserables!"
Longtemps j'hesitai; mais tout a coup ma resolution
fut prise... Je descendis et je penetrai dans la cuisine.
"N'avez-vous jamais vu cette montre, disait le bailli a
[15]dame Gredel; recueillez bien vos souvenirs, madame."
Sans attendre la reponse, je m'avancai dans la salle, et,
d'une voix ferme, je repondis:
"Cette montre, monsieur le bailli... je l'ai vue entre
les mains de l'assassin lui-meme... Je la reconnais...
[20]Et quant a l'assassin, je puis vous le livrer ce soir, s
|