ns facheuses et par des terreurs nouvelles.
[10]Ou allait-il se constituer prisonnier? Comment? De
quel cote? Et des images affreuses, des images de mort,
se precipiterent dans son ame.
Il allait courir des dangers terribles en s'aventurant
seul, avec son casque a pointe, par la campagne.
[15]S'il rencontrait des paysans? Ces paysans, voyant un
Prussien perdu, un Prussien sans defense, le tueraient
comme un chien errant! Ils le massacreraient avec leurs
fourches, leurs pioches, leurs faux, leurs pelles! Ils en
feraient une bouillie, une patee, avec l'acharnement des
[20]vaincus exasperes.
S'il rencontrait des francs-tireurs? Ces francs-tireurs,
des enrages sans loi ni discipline, le fusilleraient pour
s'amuser, pour passer une heure, histoire de rire en voyant
sa tete. Et il se croyait deja appuye contre un mur en
[25]face de douze canons de fusils, dont les petits trous ronds
et noirs semblaient le regarder.
S'il rencontrait l'armee francaise elle-meme? Les
hommes d'avant-garde le prendraient pour un eclaireur,
pour quelque hardi et malin troupier parti seul en reconnaissance,
[30]et ils lui tireraient dessus. Et il entendait deja
les detonations irregulieres des soldats couches dans les
broussailles, tandis que lui, debout au milieu d'un champ,
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affaissait, troue comme une ecumoire par les balles qu'il
sentait entrer dans sa chair.
Il se rassit, desespere. Sa situation lui paraissait sans
issue.
[5]La nuit etait tout a fait venue, la nuit muette et noire.
Il ne bougeait plus. Tressaillant a tous les bruits inconnus
et legers qui passent dans les tenebres. Un lapin, tapant
du cul au bord d'un terrier, faillit faire s'enfuir Walter
Schnaffs. Les cris des chouettes lui dechiraient l'ame, le
[10]traversant de peurs soudaines, douloureuses comme des
blessures. Il ecarquillait ses gros yeux pour tacher de
voir dans l'ombre; et il s'imaginait a tout moment entendre
marcher pres de lui.
Apres d'interminables heures et des angoisses de damne,
[15]il apercut, a travers son plafond de branchages, le ciel qui
devenait clair. Alors, un soulagement immense le penetra;
ses membres se detendirent, reposes soudain; son coeur
s'apaisa; ses yeux se fermerent. Il s'endormit.
Quand il se reveilla, le soleil lui parut arrive a peu pres
[20]au milieu du ciel; il devait etre midi. Aucun bruit ne
troublait la paix morne des champs; et Walter Schnaffs
s'apercut qu'il etait atteint d'une faim aigue.
Il b
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