aillait, la bouche humide a la pensee du saucisson
des soldats; et son estomac lui faisait mal.
[25]Il se leva, fit quelques pas, sentit que ses jambes etaient
faibles, et se rassit pour reflechir. Pendant deux ou trois
heures encore, il etablit le pour et le contre, changeant
a tout moment de resolution, combattu, malheureux,
tiraille par les raisons les plus contraires.
[30]Une idee lui parut enfin logique et pratique, c'etait de
guetter le passage d'un villageois seul, sans armes, et sans
outils de travail dangereux, de courir au-devant de lui et
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de se remettre en ses mains en lui faisant bien comprendre
qu'il se rendait.
Alors il ota son casque, dont la pointe le pouvait trahir,
et il sortit sa tete au bord de son trou, avec des precautions
[5]infinies.
Aucun etre isole ne se montrait a l'horizon. La-bas,
a droite, un petit village envoyait au ciel la fumee de
ses toits, la fumee de ses cuisines! La-bas, a gauche; il
apercevait, au bout des arbres d'une avenue, un grand
[10]chateau flanque de tourelles.
Il attendit jusqu'au soir, souffrant affreusement, ne
voyant rien que des vols de corbeaux, n'entendant rien
que les plaintes sourdes de ses entrailles.
Et la nuit encore tomba sur lui.
[15]Il s'allongea au fond de sa retraite et il s'endormit d'un
sommeil fievreux, hante de cauchemars, d'un sommeil
d'homme affame.
L'aurore se leva de nouveau sur sa tete. Il se remit en
observation. Mais la campagne restait vide comme la
[20]veille; et une peur nouvelle entrait dans l'esprit de Walter
Schnaffs, la peur de mourir de faim! Il se voyait etendu
au fond de son trou, sur le dos, les deux yeux fermes. Puis
des betes, des petites betes de toute sorte s'approchaient
de son cadavre et se mettaient a le manger, l'attaquant
[25]partout a la fois, se glissant sous ses vetements pour
mordre sa peau froide. Et un grand corbeau lui piquait
les yeux de son bec effile.
Alors, il devint fou, s'imaginant qu'il allait s'evanouir
de faiblesse et ne plus pouvoir marcher. Et deja, il
[30]s'appretait a s'elancer vers le village, resolu a tout oser, a
tout braver, quand il apercut trois paysans qui s'en allaient
aux champs avec leurs fourches sur l'epaule, et il se replongea
dans sa cachette.
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Mais, des que le soir obscurcit la plaine, il sortit lentement
du fosse, et se mit en route, courbe, craintif, le coeur
battant, vers le chateau lointain, preferant entrer
la-dedans plutot qu'au villag
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