u bois a coups de hache sur
[10]une pierre. Elle etait grande, mince et forte, une fille des
forets, fille et femme de forestiers.
Une voix cria de l'interieur de la maison:
--Nous sommes seules, ce soir, Berthine, faut rentrer,
v'la la nuit, y a p't-etre bien des Prussiens et des loups qui
[15]rodent.
La bucheronne repondit en fendant une souche a grands
coups qui redressaient sa poitrine a chaque mouvement
pour lever les bras.
--J'ai fini, m'man. Me v'la, me v'la, y a pas de crainte;
[20]il fait encore jour.
Puis elle rapporta ses fagots et ses buches et les entassa
le long de la cheminee, ressortit pour fermer les auvents,
d'enormes auvents en coeur de chene, et rentree enfin, elle
poussa les lourds verrous de la porte.
[25]Sa mere filait aupres du feu, une vieille ridee que l'age
avait rendue craintive:
--J'aime pas, dit-elle, quand le pere est dehors. Deux
femmes ca n'est pas fort.
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La jeune repondit:
--Oh! je tuerais ben un loup ou un Prussien tout de
meme.
Et elle montrait de l'oeil un gros revolver suspendu
[5]au-dessus de l'atre.
Son homme avait ete incorpore dans l'armee au commencement
de l'invasion prussienne; et les deux femmes
etaient demeurees seules avec le pere, le vieux garde
Nicolas Pichon, dit l'Echasse, qui avait refuse obstinement
[10]de quitter sa demeure pour rentrer a la ville.
La ville prochaine, c'etait Rethel, ancienne place forte
perchee sur un rocher. On y etait patriote, et les bourgeois
avaient decide de resister aux envahisseurs, de s'enfermer
chez eux et de soutenir un siege selon la tradition de la
[15]cite. Deux fois deja, sous Henri IV et Louis XIV, les
habitants de Rethel s'etaient illustres par des defenses
heroiques. Ils en feraient autant cette fois, ventrebleu!
ou bien on les brulerait dans leurs murs.
Donc, ils avaient achete des canons et des fusils, equipe
[20]une milice, forme des bataillons et des compagnies, et ils
s'exercaient tout le jour sur la place d'Armes. Tous,
boulangers, epiciers, bouchers, notaires, avoues, menuisiers,
libraires, pharmaciens eux-memes manoeuvraient a
tour de role, a des heures regulieres, sous les ordres de M.
[25]Lavigne, ancien sous-officier de dragons, aujourd'hui
mercier, ayant epouse la fille et herite de la boutique de M.
Ravaudan, l'aine.
Il avait pris le grade de commandant-major de la place,
et tous les jeunes hommes etant partis a l'armee, il avait
[30]enregimente tous les autres qui s'e
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