omedie qu'on aurait paye sa place de
[5]bon coeur. Depuis trente ans qu'ils etaient maries, ils se
chamaillaient tous les jours. Seulement Toine rigolait,
tandis que sa bourgeoise se fachait. C'etait une grande
paysanne, marchant a longs pas d'echassier, et portant
une tete de chat-huant en colere. Elle passait son temps.
[10]a elever des poules dans une petite cour, derriere le cabaret,
et elle etait renommee pour la facon dont elle savait engraisser
les volailles.
Quand on donnait un repas a Fecamp chez des gens de
la haute, il fallait, pour que le diner fut goute, qu'on y
[15]mangeat une pensionnaire de la me Toine.
Mais elle etait nee de mauvaise humeur et elle avait
continue a etre mecontente de tout. Fachee contre le
monde entier, elle en voulait principalement a son mari.
Elle lui en voulait de sa gaiete, de sa renommee, de sa
[20]sante et de son embonpoint. Elle le traitait de propre a
rien, parce qu'il gagnait de l'argent sans rien faire, de
sapas, paree qu'il mangeait et buvait comme dix hommes
ordinaires, et il ne se passait point de jour sans qu'elle
declarat d'un air exaspere:
[25]--Ca serait-il point mieux dans l'etable a cochons, un
quetou comme ca? C'est que d'la graisse, que ca en fait
mal au coeur.
Et elle lui criait dans la figure:
--Espere, espere un brin; j'verrons c'qu'arrivera,
[30]j'verrons ben! Ca crevera comme un sac a grain, ce gros bouffi!
Toine riait de tout son coeur en se tapant sur le ventre et
Repondait:
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--Eh! la me Poule, ma planche, tache d'engraisser
comme ca d'la volaille. Tache pour voir.
Et relevant sa manche sur son bras enorme:
--En v'la un aileron, la me, en v'la un.
[5]Et les consommateurs tapaient du poing sur les tables
en se tordant de joie, tapaient du pied sur la terre du sol,
et crachaient par terre dans un delire de gaiete.
La vieille furieuse reprenait:
--Espere un brin... espere un brin... j'verrons
[10]c'qu'arrivera... ca crevera comme un sac a grain...
Et elle s'en allait furieuse, sous les rires des buveurs.
Toine, en effet, etait surprenant a voir, tant il etait
devenu epais et gros, rouge et soufflant. C'etait un de ces
etres enormes sur qui la mort semble s'amuser, avec des
[15]ruses, des gaietes et des perfidies bouffonnes, rendant
irresistiblement comique son travail lent de destruction.
Au lieu de se montrer comme elle fait chez les autres, la
gueuse, de se montrer dans les cheveux blancs, dans la
maigreur, dans
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