gouttieres; elle le
[5]renversa, le vida, l'assujettit contre le sol avec des pieux
et des pierres; puis elle enchaina Semillante a cette niche,
et elle rentra.
Elle marchait maintenant, sans repos, dans sa chambre,
l'oeil fixe toujours sur la cote de Sardaigne. Il etait
[10]la-bas, l'assassin.
La chienne, tout le jour et toute la nuit, hurla. La
vieille, au matin, lui porta de l'eau dans une jatte; mais
rien de plus: pas de soupe, pas de pain.
La journee encore s'ecoula. Semillante, extenuee, dormait.
[15]Le lendemain, elle avait les yeux luisants, le poil
herisse, et elle tirait eperdument sur sa chaine.
La vieille ne lui donna encore rien a manger. La bete,
devenue furieuse, aboyait d'une voix rauque. La nuit
encore se passa.
[20]Alors, au jour leve, la mere Saverini alla chez le voisin,
prier qu'on lui donnat deux bottes de paille. Elle prit de
vieilles hardes qu'avait portees autrefois son mari, et les
bourra de fourrage, pour simuler un corps humain.
Ayant pique un baton dans le sol, devant la niche de
[25]Semillante, elle noua dessus ce mannequin, qui semblait
ainsi se tenir debout. Puis elle figura la tete au moyen
d'un paquet de vieux linge.
La chienne, surprise, regardait cet homme de paille, et
se taisait bien que devoree de faim.
[30]Alors la vieille alla acheter chez le charcutier un long
morceau de boudin noir. Rentree chez elle, elle alluma un
feu de bois dans sa cour, aupres de la niche, et fit griller
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son boudin. Semillante, affolee, bondissait, ecumait, les
yeux fixes sur le gril, dont le fumet lui entrait au ventre.
Puis la mere fit de cette bouillie fumante une cravate
a l'homme de paille. Elle la lui ficela longtemps autour
[5]du cou, comme pour la lui entrer dedans. Quand ce fu
fini, elle dechaina la chienne.
D'un saut formidable, la bete atteignit la gorge du mannequin,
et, les pattes sur les epaules, se mit a la dechirer.
Elle retombait, un morceau de sa proie a la gueule, puis
[10]s'elancait de nouveau, enfoncait ses crocs dans les cordes,
arrachait quelques parcelles de nourriture, retombait encore,
et rebondissait, acharnee. Elle enlevait le visage
par grands coups de dents, mettait en lambeaux le col
entier.
[15]La vieille, immobile et muette, regardait, l'oeil allume.
Puis elle renchaina sa bete, la fit encore jeuner deux jours,
et recommenca cet etrange exercice.
Pendant trois mois, elle l'habitua a cette sorte de lutte,
a ce repas conquis a coup
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