de vous, du matin au soir.
Nous nous questionnons pour savoir quand et comment vous serez vraiment
heureux, en depit de tous vos bonheurs. Car c'est peut-etre la tout le
mal, une ame rassasiee! mais ca se renouvelle, une ame, une ame _qu'est
pas ordinaire_, et nous invoquons sous toutes ses formes l'ange du
renouvellement. Nous ne sommes pas forts dans nos theories ni dans nos
imaginations; mais nous vous aimons, voila ce qu'il y a de clair et de
sur.
Je ne sais si madame Villot vous a ecrit. Elle ne me dit absolument
rien, sinon qu'elle a envoye expres a Paris une personne pour chercher
le _manuscrit_; c'est a vous de savoir si vous voulez le lui rendre au
cas ou elle le redemanderait, ce que je ne crois pas d'apres son silence
sur votre compte. Dans tous les cas, vous devriez faire faire une copie
pendant que vous tenez l'original.
En attendant de vos nouvelles et la _repromesse_ de votre retour, nous
nous mettons deux pour vous embrasser tendrement. Marie vous fait une
belle reverence.
G. SAND.
CDXCII
A MAURICE SAND, A BORD DU _JEROME-NAPOLEON_
Nohant, 1er septembre 1861.
Je vois a tes lettres que, tout en rendant justice aux Americains, tu
eprouves parmi eux un etonnement mele de malaise, et que cette grande
question de la liberte individuelle, a laquelle tu n'avais peut-etre pas
beaucoup reflechi encore, se presente a toi grosse d'orages sur cette
terre de l'individualisme. Je ne sais pas ce que tu concluras a ton
retour; mais je peux te dire ce que je conclus dans mon coin en fermant
un tres beau livre qui, pour moi, resume tout le coeur et toute
l'intelligence de l'Amerique. C'est le livre du pasteur americain
unitariste Channing.
Peut-etre vas-tu traverser trop vite la patrie de cet homme remarquable
pour entendre parler de lui ou du moins pour juger de l'influence qu'il
a pu exercer sur les esprits. Je dois donc te le resumer en deux mots:
1 deg. _La raison_, premier et principal guide de l'homme;
2 deg. _La liberte individuelle_, premier devoir et premier droit de
l'homme.
Cela parait sec, presente ainsi, et tu seras tres etonne, quand tu
liras ce philosophe, de trouver en lui un enthousiasme de charite
extraordinaire, une eloquence partant du coeur, enfin toutes les
qualites d'un veritable apotre.
Mais tu feras comme moi, tu voudras conclure, et tu verras, en
concluant, que cet homme sincere est un apotre sterile et ce coeur d'or
un coeur qui
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