t, oh! mais du tout. Moi, il me semble qu'on ne peut pas y mettre
autre chose. Est-ce qu'on peut separer son esprit de son coeur? est-ce
que c'est quelque chose de different? est-ce que la sensation meme peut
se limiter? est-ce que l'etre peut se scinder? Enfin ne pas se donner
tout entier dans son oeuvre, me parait aussi impossible que de pleurer
avec autre chose que ses yeux et de penser avec autre chose que son
cerveau. Qu'est-ce que vous avez voulu dire? vous me repondrez quand
vous aurez le temps.
DXXIV
A M. EDOUARD CADOL, A PARIS
Nohant, 6 fevrier 1863.
Cher enfant,
J'ai tenu conseil avec Lina et Maurice, et j'ai donne mon avis, qui a
ete ecoute. Nous vous savons tous gre, de votre bon coeur, qui voudrait
pouvoir nous dedier a tous la comedie que nous avons tous bercee avec
tendresse. Mais ni moi, ni Maurice, ni les autres, soyez-en sur, ne
doutons de votre bonne affection, et il s'agit pour nous, avant tout, de
la piece et de son succes. Ce n'est guere l'usage de dedier une piece.
N'attirez donc pas l'attention du gros public sur mon nom et sur rien
qui rappelle Nohant.
Assez d'envieux diront dans les petits coins, si la piece a du succes,
que, puisqu'elle a ete faite a Nohant, j'y ai mis la main.
Les directeurs de theatre le diront aussi, croyant faire du bien a la
piece et se souciant, fort peu de faire du mal a l'auteur.
Laissez cela se perdre dans les cancans de coulisses et croyez bien
que le public de la troisieme representation n'en saura rien du tout.
Inutile donc que les lecteurs en sachent davantage, et qu'une dedicace
les y fasse penser.
Sur ce, merci de coeur pour Lina, Maurice et moi, et croyez que mon
conseil est bon. Il ne s'agit pas de plaire aux directeurs et aux
editeurs, qui veulent toujours des noms _patronnes_ pour ecouler leur
marchandise. Il s'agit de vous faire un nom independant contre vent et
maree. C'est plus difficile que d'avaler une tranche d'ananas. Allez-y
et ne craignez rien.
Bonsoir, cher Almanzor, et bon courage! Amities de tous. Ecrivez-nous
toujours quand vous avez le temps.
G. SAND.
DXXV
AU MEME
Nohant, 7 fevrier 1863.
Cher enfant,
Nous sommes bien contents et bien heureux, tous! Compliments, amities,
joie de toute la famille. Je n'etais pas inquiete du tout, moi: je
savais qu'il y avait dans la piece un fonds d'interet et d'emotion de
nature a etre compris par
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