age, je ne sais pas recopier et j'aime mieux
vous envoyer ma premiere impression illisible et informe. Vous me
comprendrez par le coeur, qui sait tout dechiffrer.
Je vous demande le secret jusqu'a ce que nous ayons vide la question,
et vous prie de croire, monsieur, quelle qu'en soit l'issue, a mes
sentiments de fraternite veritable et profonde.
GEORGE SAND.
DXXXII
A M. JOSEPH DESSAUER, A ISCHL (AUTRICHE)
Nohant, 15 aout 1863.
Bon Chrishni,
Je veux que vous trouviez une lettre de moi a Ischl, puisque vous ne
m'avez pas mise a meme de vous repondre a Paris.
Oui, ce sont d'heureux jours, que ceux ou je vous ai retrouve si
semblable a vous-meme, a peine vieilli, pas change, toujours aussi naif,
aussi tendre et aussi aimable. Les oreilles ont du vous sonner tout le
temps de votre voyage: car on n'a pas passe une heure ici sans dire:
"Bon Chrishni! cher brave homme! ami charmant! digne maestro! grand
artiste! etc., etc."; chacun et tous a la fois, duo, trio, quatuor,
etc., _tutti, tutti:_ "Vive le bon Dessauer! le vrai _Favilla_!" Et,
le soir, les lettres mysterieuses apportees sur, la table par l'esprit
familier, les phrases musicales qu'on, croyait entendre en les lisant,
tout cela a ete goute, senti, et, tout en riant, on etait attendri, on
vous sentait encore la.
Eh! n'y etes-vous pas toujours? est-ce que nous ne vivons que dans notre
corps? est-ce que nous n'habitons pas la lune et le soleil et toutes les
etoiles, des que notre pensee nous y transporte? est-ce qu'on ne s'y
occupe pas de nous comme nous nous occupons d'eux, nous qui revons
toujours d'aller les y rejoindre? Eux? qui? ils disent la meme chose
que nous, et, sans nous connaitre, ils nous aiment. Et puis ne nous
connaissent-ils pas? Ou est notre cher grand Delacroix a cette heure?
Mais ou etes-vous vous-meme, a l'heure ou je vous ecris? sur quelle
route? dans quel vehicule? dans quelle disposition d'esprit? L'absence
et la mort ne different pas beaucoup; donc, on ne se quitte pas, on se
perd de vue; mais on sait bien que, n'importe ou, on se retrouvera.
Aussi je ne dis jamais adieu dans le sens de "Dieu nous separe!" je le
dis toujours dans le sens "Au revoir en Dieu, sur cette terre ou sur une
autre!" Est-ce que l'on ne fait pas de progres tant qu'on veut vivre et
tant qu'on croit a l'ideal? est-ce que l'ideal ne sert qu'a cette vie
d'un jour ou deux sur la terre? Ne croyez pas cela. Nous emportons a
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