al qui seul
avoit fourni a cette etonnante traite.
Une si extraordinaire aventure ne pouvoit manquer de produire a la cour un
grand effet. Le duc voulut que le voyageur en redigeat par ecrit la
relation. Celui-ci obeit; mais son ouvrage ne parut que quelques annees
apres, et meme posterieurement a l'annee 1438, puisque cette epoque y est
mentionnee, comme on le verra ci-dessous.
Il n'etoit guere possible que le duc eut journellement sous les yeux son
ecuyer tranchant sans avoir quelquefois envie de le questionner sur celte
terre des Mecreans; et il ne pouvoit guere l'entendre, sur-tout a table,
sans que sa tete ne s'echauffat, et ne format aussi des chimeres de
croisade et de conquete.
Ce qui me fait presumer qu'il avoit demande a la Brocquiere des
renseignemens de ce genre, c'est que celui-ci a insere dans sa relation un
long morceau sur la force militaire des Turcs, sur les moyens de les
combattre vigoureusement, et, quoiqu'avec une armee mediocre mais bien
conduite et bien organisee, de penetrer sans risques jusqu'a Jerusalem.
Assurement un episode aussi etendu et d'un resultat aussi important est a
remarquer dans un ouvrage presente au duc et compose, par ses ordres; et
l'on conviendra qu'il n'a guere pu y etre place sans un dessein formel et
une intention particuliere.
En effet on vit de temps en temps Philippe annoncer sur cet objet de grands
desseins; mais plus occupe de plaisirs que de gloire, ainsi que le prouven
les quinze batards connus qu'il a laisses, toute sa forfanterie s'evaporoit
en paroles. Enfin cependant un moment arriva ou la chretiente, alarmee des
conquetes rapides du jeune et formidable Mahomet II. et de l'armement
terrible qu'il preparoit contre Constantinople, crut qu'il n'y avoit plus
de digue a lui opposer qu'une ligue generale.
Le duc, qui, par l'etendue et la population de ses etats, etoit plus
puissant que beaucoup de rois, pouvoit jouer dans la coalition un role
important. Il affecta de se montrer en scene un des premiers; et pour le
faire avec eclat, il donna dans Lille en 1453 une fete splendide et
pompeuse, ou plutot un grand spectacle a machines, fort bizarre dans son
ensemble, fort disparate dans la multitude de ses parties, mais le plus
etonnant de ceux de ce genre que nous ait transmis l'histoire. Ce spectacle
dont j'ai donne ailleurs la description, [Footnote: Hist. de la vie privee
des Francais, t. III, p. 324.] et qui absorba en pur faste des sommes
considerables qu'il
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