s, dit-il, vous avez cru me faire du bien, et vous avez augmente
ma peine; je ne vous remercie pas moins de vos bonnes intentions, mais je
veux que vous me donniez tous deux votre parole de ne plus revenir avec
moi, ni entre vous, ni en presence de Janille ou de Jean, ni vous, Emile,
avec M. de Boisguilbault, sur ce sujet-la ... Jamais, jamais,
entendez-vous?" ajouta-t-il du ton le plus solennel et le plus absolu dont
il fut capable; et, s'adressant plus particulierement a Emile, en serrant
avec force sa main contre celle de Gilberte avec un redoublement de
distraction:
"Mou cher monsieur Emile, dit-il avec attendrissement, vous avez ete
emporte a une grave imprudence par votre amitie pour moi. Souvenez-vous que
la premiere fois que vous allates a Boisguilbault, je vous dis: "Ne
prononcez pas mon nom dans cette maison, si vous voulez ne pas nuire a mon
ami Jean!" Eh bien, vous avez fini par me nuire a moi-meme en oubliant ma
recommandation.
"Tout ce que je puis vous dire, c'est que M. de Boisguilbault n'est pas
plus fou qu'aucun de nous trois, et que s'il est injuste envers Jean et
envers ma fille qui sont bien innocents de mes torts, c'est parce que l'on
enveloppe assez naturellement les amis et les proches d'un ennemi dans le
ressentiment qu'il inspire.
"M. de Boisguilbault serait bien cruel de ne pas me pardonner s'il pouvait
lire au fond de mon coeur; mais sa souffrance est trop grande pour le lui
permettre. Respectez donc cette douleur, Emile, et ne traitez pas de fou un
homme dont l'infortune merite les consolations de votre amitie et tous les
egards dont vous etes capable ... Allons! promettez-moi de ne plus
conspirer ensemble pour mon repos: car quelque chose que vous fassiez, ce
sera conspirer contre."
Emile et Gilberte promirent en tremblant, et Antoine leur dit: "C'est bien,
mes enfants, il est des maux incurables et des chatiments qu'il faut savoir
subir en silence. Maintenant, allons voir si Janille a retrouve sa chevre.
J'ai la, dans un panier, des abricots que j'ai ete cueillir pour vous deux;
car j'avais vu Emile monter le sentier, et je tiens a le regaler des
primeurs de mes vieux arbres."
Apres quelques efforts, Antoine reprit son enjouement avec plus de
facilite que Gilberte et qu'Emile lui-meme. Ce dernier n'osait plus faire
de commentaires et de recherches; car tout ce qui tenait a Gilberte lui
etait sacre, et il suffisait qu'Antoine lui eut enjoint de ne plus penser a
cette affaire pour q
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