arecage avec la rapidite
d'une fleche.
Apres une heure de marche, toujours perdu dans ses pensees, il vit le
sentier se resserrer, s'enfoncer dans des buissons, puis disparaitre sous
ses pieds. Il leva les yeux, et vit devant lui, au dela de precipices et de
ravins profonds, les ruines de Crozant s'elever en fleche aigue sur des
cimes etrangement dechiquetees, et parsemees sur un espace qu'on peut a
peine embrasser d'un seul coup d'oeil.
Emile etait deja venu visiter cette curieuse forteresse, mais par un chemin
plus direct, et sa preoccupation l'ayant empeche cette fois de s'orienter,
il resta un instant avant de se reconnaitre.
Rien ne convenait mieux a l'etat de son ame que ce site sauvage et ces
ruines desolees. Il laissa son cheval dans une chaumiere et descendit a
pied le sentier etroit qui, par des gradins de rochers, conduit au lit du
torrent. Puis il en remonta un semblable, et s'enfonca dans les decombres
ou il resta plusieurs heures en proie a une douleur que l'aspect d'un lieu
si horrible, et si sublime en meme temps, portait par instant jusqu'au
delire.
Les premiers siecles de la feodalite ont vu construire peu de forteresses
aussi bien assises que celle de Crozant. La montagne qui la porte tombe a
pic de chaque cote, dans deux torrents, la Creuse et la Sedelle, qui se
reunissent avec fracas a l'extremite de la presqu'ile, et y entretiennent,
en bondissant sur d'enormes blocs de rochers, un mugissement continuel. Les
flancs de la montagne sont bizarres et partout herisses de longues roches
grises qui se dressent du fond de l'abime comme des geants, ou pendent
comme des stalactites sur le torrent qu'elles surplombent.
Les debris de constructions ont tellement pris la couleur et la forme des
rochers, qu'on a peine, en beaucoup d'endroits, a les en distinguer de
loin.
On ne sait donc qui a ete plus hardi et plus tragiquement inspire, en ce
lieu, de la nature ou des hommes, et l'on ne saurait imaginer, sur un
pareil theatre, que des scenes de rage implacable et d'eternelle
desolation.
Un pont-levis, de sombres poternes et un double mur d'enceinte, flanque de
tours et de bastions, dont on voit encore les vestiges, rendaient cette
forteresse imprenable avant l'usage du canon. Et cependant l'histoire d'une
place si importante dans les guerres du moyen age est a peu pres ignoree.
Une vague tradition attribue sa fondation a des chefs sarrasins qui s'y
seraient maintenus longtemps. La gelee, qui est
|