ant la belle campagnarde qu'il adorait, dans les
vagues sentiers de ce desert, a la clarte des premieres etoiles.
Que lui importait qu'elle fut assise sur une espece de brancard traine par
une haridelle, ou dans un carrosse superbe? qu'elle fut vetue de moire et
de velours, ou d'une petite indienne fanee? Elle avait des gants dechires
qui laissaient voir le bout de ses doigts roses, appuyes sur le dossier de
la voiture. Pour menager son echarpe des dimanches, elle l'avait pliee et
mise sur ses genoux. Sa belle taille svelte et souple n'en ressortait que
mieux. Le vent tiede du soir semblait caresser avec ardeur sa nuque blanche
comme l'albatre. Le souffle d'Emile se melait a la brise, et il etait
attache la comme l'esclave derriere le char du vainqueur.
Il y eut un moment ou, grace au peu de precaution de Sylvain, la brouette
s'arreta tout court et faillit heurter la tete du cheval d'Emile.
Monsieur Sacripant avait mis une patte sur le marchepied, pour avertir
qu'il etait fatigue et qu'on eut a le prendre en voiture. M. Antoine
descendit pour le saisir par la peau du cou et le jeter sur le tablier du
boguet, car le pauvre animal n'avait plus les jarrets assez souples pour
s'elancer si haut.
Pendant ce temps-la, Gilberte caressait les naseaux de _Corbeau_ et
passait sa petite main dans les flots de sa noire criniere. Emile sentit
battre son coeur comme si un courant magnetique lui apportait ces caresses.
Il faillit faire, sur le bonheur de _Corbeau_, quelque reflexion aussi
ingenue que celle dont Galuchet eut ete capable en pareil cas; mais il se
contenta d'etre bete en silence. On est si heureux quand, avec de l'esprit,
on se sent pris de cette betise-la!
Il faisait tout a fait sombre quand ils arriverent a Fresselines. Les
arbres et les rochers ne presentaient plus que des masses noires d'ou
sortait le grondement majestueux et solennel de la riviere.
Une fatigue delicieuse et la fraicheur de la nuit jetaient Emile et
Gilberte dans une sorte d'assoupissement delicieux. Ils avaient devant eux
tout le lendemain, tout un siecle de bonheur.
L'auberge ou l'on s'arreta, et qui etait la meilleure du hameau, n'avait
que deux lits dans deux chambres separees. On decida que Gilberte aurait la
meilleure, que M. Antoine s'arrangerait de l'autre avec Emile, en prenant
chacun un matelas. Mais quand on en fut a verifier le mobilier, il se
trouva qu'il n'y avait qu'un matelas dans chaque lit, et Emile se fit un
plaisir d'e
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