la tete et soupirait; il ne pouvait pas donner a
Gilberte une plus forte preuve d'amour que de se taire.
"Allons, lui disait alors M. Cardonnet, je vois bien que tu ne seras jamais
fort sur l'article de la surveillance; mais quand je ne serai plus de ce
monde, il suffira que tu aies senti la necessite d'avoir un bon surveillant
en ton lieu et place. La partie materielle est la moins poetique. C'est au
point de vue de l'art et de la science, qui sont dans l'industrie comme
dans tout, que tu pourras agir. Viens donc dans mon cabinet, aide-moi a
comprendre ce qui m'echappe, et mets un peu ton genie au service de mon
courage."
Durant cette semaine, Emile eut a lire, a comprendre, a etudier et a
resumer plusieurs ouvrages sur l'hydrostatique. M. Cardonnet, ne pensait
pas avoir precisement besoin de ce travail, mais c'etait une maniere
d'eprouver Emile, et il fut ravi de la rapidite et de la clarte qu'il y
apporta. Une pareille etude ne pouvait causer de degout a un esprit occupe
de theories. Tout ce qui appartient a la science peut avoir dans l'avenir
une bienfaisante application; et quand on n'a pas sous les yeux les
deplorables conditions par lesquelles l'inegalite fait passer les hommes du
present pour l'execution d'un travail quelconque, on peut s'eprendre pour
l'abstraction de la science. M. Cardonnet reconnaissait la haute
intelligence d'Emile, et se disait qu'avec de si eminentes facultes, il
n'etait pas possible de fermer toujours les yeux a ce qu'il appelait
l'evidence.
Le dimanche vint. Il semblait a Emile qu'un siecle se fut ecoule depuis
qu'il n'avait vu ce lieu enchante de Chateaubrun, ou pour lui la nature
etait plus belle, l'air plus suave et la lumiere plus riche qu'en aucun
autre point de l'univers. Il commenca pourtant par Boisguilbault: car il se
souvint que Constant Galuchet devait dejeuner a Chateaubrun, et il espera
que ce lourd personnage serait parti, ou occupe a pecher, quand il y
arriverait; mais il etait loin de prevoir le machiavelisme de M. Constant.
Il le trouva encore attable avec M. Antoine, un peu alourdi par le vin du
cru auquel il n'etait pas habitue, et se dandinant sur sa chaise tout en
disant des lieux communs, tandis que, Gilberte, assise dans la cour,
attendait avec impatience qu'une distraction de Janille lui permit d'aller
guetter sur la terrasse l'arrivee de son amant.
Mais Janille n'avait point de distractions; elle rodait comme un lezard
dans tous les coins des ruines, et
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