elle se trouva juste a point pour
recevoir la moitie du salut qu'Emile adressait a Gilberte. Cependant Emile
vit, du premier coup d'oeil, qu'elle n'avait pas parle.
"En honneur, Monsieur, dit-elle en grasseyant avec plus d'affectation que
de coutume, vous n'etes pas galant, et vous avez failli amener une querelle
de rivalite entre ma fille et moi. Comment, vous me faites esperer que,
dans son absence, vous viendrez me tenir compagnie, vous me donnez meme un
jour pour vous attendre, et au lieu de cela, vous allez vous divertir en
voyage avec mademoiselle, sous pretexte qu'elle a une quarantaine d'annees
de moins! comme si c'etait ma faute, et comme si je n'etais pas aussi leste
pour courir, et aussi gaie pour causer qu'une fille! C'est fort vilain de
votre part, et vous avez bien fait de laisser passer quelques jours sur ma
colere; car si vous fussiez revenu plus tot, vous eussiez ete fort mal
recu.
--Est-ce que M. Antoine ne m'a pas justifie, repondit Emile, en vous disant
combien notre rencontre a Crozant avait ete imprevue, et notre voyage a
Saint-Germain improvise subitement par lui? Pardonnez-moi donc, ma chere
demoiselle Janille, et soyez sure qu'il fallait que je fusse a dix lieues
d'ici pour manquer a votre rendez vous.
--Je sais, je sais, dit Janille d'un ton significatif, que c'est M. Antoine
qui a tout le tort: c'est une tete si legere! mais j'aurais cru que vous
seriez plus raisonnable que lui.
--Je suis fort raisonnable, ma bonne Janille, reprit Emile sur le meme ton,
et la preuve c'est que, malgre mon desir de venir implorer ma grace, j'ai
passe ma semaine aupres de mon pere, occupe a travailler pour lui
complaire.
--Et vous avez fort bien fait, mon garcon; car enfin il est bon que les
jeunes gens soient occupes.
--L'on sera content de moi a l'avenir, dit Emile en regardant Gilberte, et
deja mon pere m'a pardonne le temps perdu. Il est excellent pour moi, et je
reconnaitrai ses bontes en m'astreignant aux plus penibles sacrifices, meme
a celui de vous voir un peu moins souvent desormais, mademoiselle Janille;
grondez-moi donc aujourd'hui, vite, mais pas trop fort, et pardonnez-moi
encore plus vite, puisque, durant quelques semaines, je vais etre
probablement force de venir rarement. J'ai beaucoup de travail a faire, et
le courage me manquerait si je vous savais fachee contre moi.
--Allons, vous etes un bon garcon, et l'on ne peut vous en vouloir, dit
Janille. Je vois, ajouta-t-elle d'un air fi
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