ments qui
enlacent sa destinee.
M. Cardonnet commencait a prendre serieusement ombrage des continuelles
absences d'Emile, et a se dire que le moment viendrait bientot de
surveiller et de regler ses demarches. "Le voila distrait de son
socialisme, se disait-il; il est temps qu'il se prenne a quelque realite
utile. Le raisonnement aura peu d'effet sur un esprit aussi porte a
l'ergotage. Il parait que ce dada est a l'ecurie pour quelque temps, ne
l'en faisons point sortir; mais voyons si, par la pratique, on ne peut pas
remplacer les theories. A cet age, on est mene par des instincts plus que
par des idees, bien qu'on s'imagine fierement le contraire; enchainons-le
d'abord au travail materiel, et qu'il s'y prete, malgre lui s'il le faut.
Il est trop laborieux et trop intelligent pour ne pas faire bien ce qu'il
se verra force de faire. Peu a peu l'occupation quelconque que je lui aurai
creee deviendra un besoin pour lui. N'en a-t-il pas toujours ete ainsi?
Meme en etudiant le droit qu'il abhorrait, n'apprenait-il pas le droit? Eh
bien, qu'il acheve son droit, quand meme il devrait le hair de plus en plus
et retomber dans les aberrations qui m'ont inquiete. Je sais maintenant
qu'il ne faudra pas beaucoup de temps, ni une coquette fort habile, pour le
debarrasser de l'enduit pedagogique des jeunes ecoles."
Mais on etait en pleines vacances, et M. Cardonnet n'avait pas de motifs
immediats pour renvoyer Emile a Poitiers. D'ailleurs, il esperait beaucoup
de son sejour a Gargilesse; car, insensiblement, Emile acceptait sans
repugnance les occupations que, de temps en temps, son pere lui tracait, et
paraissait ne plus se preoccuper du but qu'il avait tant combattu. Tout
travail accompli par Emile, l'etait avec superiorite, et M. Cardonnet se
flattait de le debarrasser de l'amour quand il voudrait, sans lui voir
perdre cette soumission et cette capacite dont il recueillait parfois les
fruits.
Rien n'etait plus contraire aux intentions de madame Cardonnet que de faire
remarquer a son mari la conduite singuliere d'Emile. Si elle eut pu deviner
le bonheur que goutait son fils a s'absenter ainsi, et le secret de ce
bonheur, elle l'eut aide a sauver les apparences, et se fut faite sa
complice avec plus de tendresse encore que de prudence. Mais elle
s'imaginait que le ton souvent froid et railleur de M. Cardonnet etait la
seule cause du malaise qu'eprouvait Emile dans la maison paternelle, et,
s'en prenant secretement a son maitre,
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