rude et longue dans cette
region, acheve de detruire chaque annee ces fortifications que les boulets
ont brisees et que le temps a reduites en poussiere.
Cependant le grand donjon carre, dont l'aspect est sarrasin en effet, se
dresse encore au milieu, et, mine par la base, menace de s'abimer a chaque
instant comme le reste.
Des tours, dont un seul pan est reste debout, et plantees sur des cimes
coniques, presentent l'aspect de rochers aigus, autour desquels glapissent
incessamment des nuees d'oiseaux de proie.
On ne peut faire sans danger le tour de la forteresse. En beaucoup
d'endroits, tout sentier disparait, et le pied vacille sur le bord des
gouffres ou l'eau se precipite avec fureur.
Ce n'est que du haut des tours d'observation qu'on pouvait voir l'approche
de l'ennemi; car, de plain pied avec la base des edifices et les sommets de
la montagne, la vue etait bornee par d'autres montagnes arides. Mais leurs
flancs calcaires s'entr'ouvrent aujourd'hui pour laisser couler des terres
fertiles et pousser en liberte de beaux arbres souvent deracines par le
passage des eaux, quand ils ont atteint une certaine elevation.
Quelques chevres, moins sauvages que les enfants miserables qui les
gardent, se pendent aux ruines et courent hardiment sur les precipices.
Tout cela est d'une desolation si pompeuse et si riche d'accidents que le
peintre ne sait ou s'arreter. L'imagination du decorateur ne trouverait
qu'a retrancher dans ce luxe d'epouvante et de menace.
Emile passa la plusieurs heures, plonge dans le chaos de ses incertitudes
et de ses projets. Parti avec le jour, il etait devore par la faim et ne se
rendait pas compte de la souffrance physique qui aggravait sa detresse
morale.
Etendu sur un rocher, il voyait les vautours planer sur sa tete et songeait
aux tortures de Promethee, lorsque les sons lointains d'une voix male, qui
ne lui paraissait pas inconnue, le firent tressaillir. Il se releva et
courut au bord du precipice. Alors, sur le ravin oppose, il vit trois
personnes descendre le sentier.
Un homme en blouse et en chapeau gris a larges bords marchait le premier,
et se retournait de temps en temps pour avertir ceux qui le suivaient de
prendre garde a eux; apres lui venait un paysan conduisant un ane par la
bride, et, sur cet ane, une femme en robe lilas bien pale, en chapeau de
paille bien modeste.
Emile s'elanca a leur rencontre, sans se demander si Janille avait parle,
si l'on se tenait en gard
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