l interesse. Mais, encore une fois, sommes-nous donc plus
forts que la destinee, que la volonte de votre pere, par exemple?
--Oui, Gilberte, oui, plus forts que tout le monde, si ... nous nous
aimons?"
Il est fort inutile de rapporter la suite de cet entretien. Nous ne
pourrions resumer certaines intermittences de peur et de decouragement, ou
Gilberte, redevenant raisonnable, c'est-a-dire desolee, montrait les
obstacles et laisser percer une fierte sans emphase, mais assez sentie pour
preferer l'eternelle solitude a l'humiliation d'une lutte contre l'orgueil
de la richesse.
Nous pourrions dire par quels arguments d'honneur et de loyaute Emile
cherchait a lui rendre la confiance. Mais les plus forts arguments, ceux
auxquels Gilberte ne trouvait pas de replique, ce sont ceux-la que nous ne
pourrions transcrire, car ils etaient tout d'enthousiasme et de naive
pantomime.
Les amants ne sont pas eloquents a la maniere des rheteurs, et leur parole
ecrite n'a jamais rien signifie pour ceux auxquels elle ne s'adresse point.
Si l'on pouvait se rappeler froidement quel mot insignifiant a fait perdre
l'esprit, on n'y comprendrait plus rien et on se raillerait soi-meme.
Mais l'accent, mais le regard, trouvent dans la passion des ressources
magiques, et bientot Emile sut persuader a Gilberte ce qu'il croyait
lui-meme a ce moment-la: a savoir que rien n'etait plus simple et plus
facile que de se marier ensemble, partant, qu'il n'y avait rien de plus
legitime et de plus necessaire que de s'aimer de toutes ses forces.
La noble fille aimait trop pour s'arreter a l'idee qu'Emile fut un
presomptueux et un temeraire. Il disait qu'il vaincrait la resistance
possible de son pere, et Gilberte ne connaissait M. Cardonnet que par des
bruits vagues.
Emile garantissait l'adhesion de sa tendre mere, et ce point rassurait la
conscience de la jeune fille. Elle partagea bientot toutes les illusions
d'Emile, et il fut convenu qu'il parlerait a son pere avant de s'adresser
a celui de Gilberte.
Une fille egoiste ou ambitieuse eut ete plus prudente. Elle eut mis l'aveu
de ses sentiments a des conditions plus rigides. Elle n'eut consenti a
revoir son amant que le jour ou il serait revenu accomplir toutes les
formalites de la demande en mariage. Mais Gilberte ne s'avisa point de
toutes ces precautions.
Elle sentit dans son coeur quelque chose de l'infini, une foi et un respect
pour la parole de son amant, qui n'avaient pas de bornes. El
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