nche d'un arbre,
n'eut pas une part moins copieuse que les autres, et mangea avec d'autant
plus de plaisir, disait-il, qu'il n'avait pas la les yeux de mademoiselle
Janille pour compter les morceaux d'un air de reproche. Emile fut rassasie
au bout d'un instant. Bien qu'on se moque des heros de roman qui ne mangent
jamais, il est bien certain que les amoureux ont peu d'appetit, et qu'en
cela les romans sont aussi vrais que la vie.
Quel transport pour Emile, apres avoir cru qu'il ne reverrait plus
Gilberte que severe et mefiante, de la retrouver telle qu'il l'avait
laissee la veille, pleine d'abandon et de noble imprevoyance! Et comme il
aimait Antoine d'etre incapable d'un soupcon, et de conserver une si
expansive gaiete!
Jamais il ne s'etait senti si gai lui-meme; jamais il n'avait vu un plus
beau jour que cette pale journee de septembre, un site plus riant et plus
enchante que cette sombre forteresse de Crozant! Et justement Gilberte
avait ce jour-la sa robe lilas, qu'il ne lui avait pas vue depuis
longtemps, et qui lui rappelait le jour et l'heure ou il etait devenu
eperdument amoureux!
Il apprit qu'on s'etait mis en route pour aller voir un parent a la
Claviere, avant les deux jours qu'on devait aller passer a Argenton, et
que, n'ayant trouve personne dans ce chateau, on avait resolu de faire une
promenade a Crozant, ou l'on resterait jusqu'au soir; et il n'etait guere
que midi! Emile s'imagina avoir l'eternite devant lui. M. Antoine s'etendit
a l'ombre apres le dejeuner, et s'endormit d'un profond sommeil. Les deux
amants, suivis de Charasson, entreprirent de faire le tour de la
forteresse.
XXI.
LE PETIT COUCHER DE M. ANTOINE.
Le page de Chateaubrun rejouit un instant le jeune couple par ses naivetes;
mais, emporte bientot par le besoin de courir, il s'ecarta a la poursuite
des chevres, faillit se faire un mauvais parti avec les chevriers, et finit
par s'entendre avec eux, en jouant aux palets sur le bord de la Creuse,
pendant qu'Emile et Gilberte entreprenaient de longer la Sedelle sur
l'autre flanc de la montagne.
Comme, en bien des endroits, le torrent a ronge la base du roc, il leur
fallut tantot grimper, tantot redescendre, tantot mettre le pied sur des
blocs a fleur d'eau, et tout cela non sans peine et sans danger. Mais la
jeunesse est aventureuse, et l'amour ne doute de rien.
Une providence particuliere protege l'un et l'autre, et nos amoureux se
tirerent bravement de tous les peril
|