a son pere ou a Janille, il fallait donc livrer
son coeur, rempli d'une langueur pudique et d'une sainte ivresse, a des
coeurs etrangers ou fermes depuis longtemps a des sympathies de ce genre?
Et il avait reve un denouement si autrement sublime! N'etait-ce pas
Gilberte qui, la premiere, et seule au monde avec lui sous l'oeil de Dieu,
devait recueillir dans son ame le mot sacre d'amour lorsqu'il s'echapperait
de ses levres?
Le monde et les lois de l'honneur, si froides en pareil cas, etaient donc
la pour oter a la virginite de sa passion ce qu'elle avait de plus pur et
de plus ideal! Il souffrait profondement, et deja il lui semblait qu'un
siecle d'amertume avait passe entre ses songes de la veille et cette sombre
journee qui commencait pour lui.
Il monta a cheval, resolu d'aller chercher au loin, dans quelque solitude,
le calme et la resignation necessaires pour affronter le premier choc.
Il voulait fuir Chateaubrun; mais il se trouva aupres sans savoir comment.
Il passa outre sans detourner la tete, remonta le rude chemin ou, battu par
l'orage, il avait vu pour la premiere fois les ruines a la lueur des
eclairs.
Il reconnut les roches ou il s'etait abrite avec Jean Jappeloup, et il ne
put comprendre qu'il n'y eut pas plus de deux mois qu'il s'etait trouve la,
si leger d'esprit, si maitre de lui-meme, si different de ce qu'il etait
devenu depuis.
Il alla vers Eguzon, afin de revoir tout le chemin qu'il avait fait alors,
et ou il n'avait point encore repasse.
Mais, des les premieres maisons, la vue des habitants qui l'examinaient
lui causa le meme sentiment d'effroi et de misanthropie qui eut pu venir a
M. de Boisguilbault en pareil cas. Il prit brusquement un chemin sombre et
couvert qui s'ouvrait sur sa gauche, et s'enfonca sans but dans la
campagne.
Ce chemin inegal, mais charmant, passant tantot sur de larges rochers,
tantot sur de frais gazons, tantot sur un sable fin, et borde d'antiques
chataigniers au tronc crevasse, aux racines formidables, le conduisit a de
vastes landes ou il avanca lentement, satisfait enfin d'etre seul dans un
site desole.
Le chemin s'en allait devant lui tantot en zigzag, tantot en montagnes
russes, a travers les espaces couverts de genets et de bruyeres, et les
tertres sablonneux coupes de ruisseaux sans lit determine et sans direction
suivie.
De temps en temps une perdrix rasait l'herbe a ses pieds, un martin-pecheur
tracait une ligne d'azur et de feu, effleurant un m
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