ention, en depit de lui-meme, ce fut un portrait
de femme de grandeur naturelle, place au fond de ce reduit, juste en face
de lui, si bien qu'il lui etait impossible de ne pas le voir, outre qu'il
etait difficile de ne pas regarder une peinture si belle et une image si
charmante.
La dame etait vetue a la mode de l'empire; mais un cachemire bleu d'azur
richement brode, et jete en draperie sur ses epaules, cachait ce que la
taille courte eut pu avoir de disgracieux. La coiffure en boucles, dites
naturelles, etait assez heureuse, et les cheveux d'un blond dore
magnifique.
Rien n'etait plus delicat et plus charmant que ce jeune visage; sans doute
c'etait la madame de Boisguilbault, et notre heros s'oubliait a interroger
curieusement la physionomie de cette femme, dont la vie et la mort devaient
avoir eu une si grande influence sur la destinee du solitaire.
Mais il est bien rare qu'un portrait nous donne une idee juste du
caractere de l'original, et, dans la plupart des cas, on peut peut bien
dire que ce qui ressemble le moins a la personne, c'est son image.
Emile s'etait represente la marquise pale et triste; il voyait une belle
elegante, au fier et doux sourire, a la pose noble et triomphante.
Avait-elle ete ainsi avant ou apres son mariage? Ou bien etait-ce une
nature toute differente de ce qu'il avait suppose?
Ce qu'il y avait de certain, c'est qu'il voyait la une figure ravissante,
et que, comme il lui etait impossible de rencontrer l'image de la jeunesse
et de la beaute sans se representer aussitot Gilberte, il se mit a comparer
ces deux types, qui peu a peu lui parurent avoir des affinites.
Le jour baissait rapidement, et, n'osant faire un pas pour se rapprocher du
mysterieux cabinet, Emile ne vit bientot plus la peinture que d'une maniere
vague.
La peau fraiche et les cheveux dores qui ressortaient encore lui firent
bientot une illusion si forte, qu'il crut avoir devant les yeux le portrait
de Gilberte, et que, quand il n'eut plus dans la vue qu'un brouillard
rempli d'etincelles fugitives, il eut besoin de faire un effort de volonte
pour se rappeler que sa premiere impression, la seule juste en pareil cas,
ne lui avait offert aucun trait precis de ressemblance entre la figure de
madame de Boisguilbault et celle de mademoiselle de Chateaubrun.
Il sortit du chalet, et ne rencontrant personne dans le parc, il se dirigea
vers le chateau.
Le meme silence, la meme solitude regnaient dans la cour. Il monta
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