dans ses penates. "Eh mais! dit Janille, vers la fin de la
semaine, peut-etre. D'ailleurs il est probable que je resterai ici: je ne
suis plus d'age a courir les montagnes, et vous saurez bien venir me
demander en passant si M. Antoine et sa fille sont de retour.
--Vous me permettriez donc bien de vous rendre ma visite? dit Emile en
s'efforcant de sourire pour cacher sa mortelle angoisse.
--Pourquoi non, si le coeur vous en dit? reprit la petite vieille en se
rengorgeant d'un air ou l'ombrageux Emile crut voir percer un peu de
malice. Je ne crains pas que cela me compromette, moi!"
"C'en est fait, pensa Emile. Mes assiduites ont ete remarquees, et quoique
M. Antoine ni sa fille ne s'avisent encore de rien, Janille s'est promis de
m'expulser. Elle a ici un pouvoir absolu, et le moment de la crise est
arrive.
--Eh bien, mademoiselle Janille, reprit-il, je viendrai vous voir demain,
j'aurai grand plaisir a causer avec vous.
--Comme ca se trouve, dit Janille: moi aussi, j'ai envie de causer! Mais
demain j'ai du chanvre a cueillir, je compte sur vous apres-demain
seulement. C'est entendu, je serai ici toute la journee, n'y manquez pas.
Bonsoir, monsieur Emile, nous causerons de bonne amitie. Ah! mais! c'est
que moi aussi je vous aime bien!"
Plus de doutes pour Emile; la maitresse femme de Chateaubrun avait ouvert
les yeux sur son amour. Quelque voisin officieux commencait a s'etonner de
le voir si souvent sur le chemin des ruines. Antoine ne savait rien encore,
Gilberte non plus; car, en lui annoncant une petite absence de son pere,
cette derniere n'avait pas paru prevoir que Janille la ferait partir avec
lui. L'adroite gouvernante avait bien fait son plan: d'abord ecarter Emile,
et puis organiser le depart de Gilberte a l'improviste, afin de se menager
quelques jours pour conjurer le petit orage qu'elle prevoyait de la part du
jeune homme.
"Il faudra donc parler, se disait Emile; et pourquoi reculerais-je devant
ce terme inevitable de mes secretes aspirations? Je dirai a sa fidele
gouvernante, a son excellent pere, que je l'aime et que j'aspire a sa main.
Je demanderai quelque temps pour m'en ouvrir a mon pere et pour m'entendre
avec lui sur le choix d'une carriere, car je n'en ai point encore, et il
faut bien que mon sort se decide. Il y aura une lutte assez violente, mais
je serai fort, j'aime. Il ne s'agit pas de moi seul; j'aurai le courage
invincible, j'aurai le don de la persuasion, je l'emporterai!"
M
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