pourtant pas un esprit essentiellement
religieux. Emile le trouvait toujours trop froid sous ce rapport. Quand le
marquis avait dit: "Je crois en Dieu," il se croyait dispense de dire:
"J'adore." Quand ses pensees, prenant le plus puissant essor dont il etait
capable, s'elevaient jusqu'a une sorte d'invocation, qui n'etait pas
precisement la priere, mais l'hommage, il disait a Dieu: "Ton nom est
sagesse!" Emile ajoutait: "Ton nom est amour!" Alors le vieillard
reprenait: "C'est la meme chose," et il avait raison.
Emile ne pouvait guere le contredire; mais, dans cette disposition a
insister sur le caractere grandiose de la logique et de la rectitude
divines, on sentait bien, chez le marquis, l'absence de cette passion
exaltee qu'Emile portait dans son sein pour l'inepuisable bonte de la
Toute-Puissance. Mais aussi, quand les faits exterieurs, les miseres, la
faiblesse humaine et tout le mal d'ici-bas donnaient un dementi apparent a
cette misericordieuse Providence et qu'Emile tombait dans une sorte de
decouragement, le vieux logicien reprenait la superiorite de sa foi.
Il ne doutait jamais, lui, il ne pouvait pas douter. Il n'avait pas besoin
de voir pour savoir, disait-il, et le passage des fleaux de ce monde ne
troublait pas plus a ses yeux l'ordre moral des choses eternelles que celui
des nuees sur le soleil n'en alterait l'ordre physique.
Sa resignation ne partait pas d'un sentiment d'humilite ou de tendresse:
car pour ses propres chagrins, il avouait n'avoir jamais pu se soumettre
qu'exterieurement; mais il croyait pour l'univers a une source de fatalisme
optimiste qui contrastait avec son pessimisme personnel, et qui formait le
trait le plus original de son esprit et de son caractere.
"Voyez, disait-il, la logique est partout! Elle est infinie dans l'oeuvre
de Dieu; mais elle est incomplete et insaisissable dans chaque chose, parce
que chaque chose est finie; l'homme lui-meme, bien qu'il soit le reflet le
plus frappant de l'infini sur ce petit monde. Nul homme ne peut comprendre
la sagesse infinie, si ce n'est a l'etat d'abstraction: car, s'il cherche
en lui-meme et autour de lui, il ne la peut saisir et constater en aucune
facon. Vous me traitez souvent de logicien; j'y consens: j'aime et je
cherche la logique. J'en ai un besoin enorme, et ne me complais a rien qui
lui soit etranger. Mais suis-je logique dans mes actions et dans mes
instincts? Moins que qui que ce soit au monde. Plus je me tate, plus je
tro
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