-vous ete vaincu dans le camp, a la course ou a la salle
d'armes? quelqu'un a-t-il mieux chante ou mieux joue de la lyre que vous a
la table du general?--Ce trait peint les moeurs. Quels republicains
aimables!"
Camille se plaignait ensuite de ce qu'aux moeurs d'Athenes on ne voulut pas
ajouter la liberte de langage qui regnait dans cette republique.
Aristophane, disait-il, y representait sur la scene les generaux, les
orateurs, les philosophes et le peuple lui-meme; et le peuple d'Athenes,
tantot joue sous les traits d'un vieillard, et tantot sous ceux d'un jeune
homme, loin de s'irriter, proclamait Aristophane vainqueur des jeux, et
l'encourageait par des bravos et des couronnes. Beaucoup de ses comedies
etaient dirigees contre les _ultra-revolutionnaires_ de ce temps-la; les
railleries en etaient cruelles. "Et si aujourd'hui, ajoutait Camille, on
traduisait quelqu'une de ces pieces jouees 430 ans avant Jesus-Christ, sous
l'archonte Sthenocles, Hebert soutiendrait aux Cordeliers que la piece ne
peut etre que d'hier, de l'invention de Fabre-d'Eglantine, contre lui et
Ronsin, et que c'est le traducteur qui est la cause de la disette.
"Cependant, reprenait Camille avec tristesse, je m'abuse quand je dis que
les hommes sont changes; ils ont toujours ete les memes; la liberte de
parler n'a pas ete plus impunie dans les republiques anciennes que dans les
modernes. Socrate, accuse d'avoir mal parle des dieux, but la cigue;
Ciceron, pour avoir attaque Antoine, fut livre aux proscriptions."
Ainsi ce malheureux jeune homme semblait predire que la liberte ne lui
serait pas plus pardonnee qu'a tant d'autres. Ces plaisanteries, cette
eloquence, irritaient le comite. Tandis qu'il suivait de l'oeil Ronsin,
Hebert, Vincent et tous les agitateurs, il concevait une haine funeste
contre l'aimable ecrivain qui se riait de ses systemes; contre Danton, qui
passait pour inspirer cet ecrivain, contre tous les hommes enfin supposes
amis ou partisans de ces deux chefs.
Pour ne pas devier de la ligne, le comite presenta deux decrets a la suite
des rapports de Robespierre et de Saint-Just, tendant, disait-il, a rendre
le peuple heureux aux depens de ses ennemis. Par ces decrets, le comite de
surete generale etait seul investi de la faculte d'examiner les
reclamations des detenus, et de les elargir s'ils etaient reconnus
patriotes. Tous ceux, au contraire, qui seraient reconnus ennemis de la
revolution, resteraient enfermes jusqu'a la paix,
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