uru la nuit ces cimetieres, et j'y ai fait plus
d'une facheuse rencontre.
A trois heures, un matin, un homme sorti de derriere un cypres me barra
le passage. C'etait un veilleur de nuit; il etait arme d'un long baton
ferre, de deux pistolets et d'un poignard;--et j'etais sans armes.
Je compris tout de suite ce que voulait cet homme. Il eut attente a ma
vie plutot que de renoncer a son projet.
Je consentis a le suivre: j'avais mon plan. Nous marchions pres de ces
fondrieres de cinquante metres de haut qui separent Pera de
Kassim-Pacha. Il etait tout au bord; je saisis l'instant favorable, je
me jetai sur lui;--il posa un pied dans le vide, et perdit
l'equilibre. Je l'entendis rouler tout au fond sur les pierres, avec un
bruit sinistre et un gemissement.
Il devait avoir des compagnons et sa chute avait pu s'entendre de loin
dans ce silence. Je pris mon vol dans la nuit, fendant l'air d'une
course si rapide qu'aucun etre humain n'eut pu m'atteindre.
Le ciel blanchissait a l'orient quand je regagnai ma chambre. La pale
debauche me retenait souvent par les rues jusqu'a ces heures matinales.
A peine etais-je endormi, qu'une suave musique vint m'eveiller; une
vieille aubade d'autrefois, une melodie gaie et orientale, fraiche comme
l'aube du jour, des voix humaines accompagnees de harpes et de guitares.
Le choeur passa, et se perdit dans l'eloignement. Par ma fenetre grande
ouverte, on ne voyait que la vapeur du matin, le vide immense du ciel;
et puis, tout en haut, quelque chose se dessina en rose, un dome et des
minarets; la silhouette de la ville turque s'esquissa peu a peu, comme
suspendue dans l'air ... Alors, je me rappelai que j'etais a Stamboul,--
et qu'elle avait jure d'y venir.
VI
La rencontre de cet homme m'avait laisse une impression sinistre; je
cessai ce vagabondage nocturne, et n'eus plus d'autres maitresses,--si
ce n'est une jeune fille juive nommee Rebecca, qui me connaissait, dans
le faubourg israelite de Pri-Pacha, sous le nom de Marketo.
Je passai la fin d'aout et une partie de septembre en excursions dans le
Bosphore. Le temps etait tiede et splendide. Les rives ombreuses, les
palais et les yalis se miraient dans l'eau calme et bleue que
sillonnaient des caiques dores.
On preparait a Stamboul la deposition du sultan Mourad, et le sacre
d'Abd-ul-Hamid.
VII
Constantinople, 30 aout.
Minuit! la cinquieme heure aux horloges turques; les veilleurs de nuit
frappent le
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