elles n'attendent meme
pas l'appellation, car elles changent tellement de qualites, de
temps, de lieux et de proprietes de mille sortes, que toute leur
existence parait, non un etat durable, mais une transition mobile.
Nous appelons etre, dit Boece, ce qui ni n'augmente par la tension
ni ne diminue par la retraction, mais se conserve toujours soutenu
par l'appui de sa propre nature: ce sont les quantites, les
qualites, les relations, les lieux, les temps, les habitudes, et
tout ce qui se trouve en quelque sorte faire un avec les corps.
Les choses jointes aux corps paraissent changer, mais demeurent
immutables dans leur nature; ainsi les especes des choses demeurent
les memes dans les individus passagers, comme dans les eaux qui
coulent, le courant en mouvement demeure un fleuve; car on dit que
c'est le meme fleuve, d'ou ce mot de Seneque, etranger pourtant a ce
sujet: _Nous descendons et ne descendons pas deux fois dans le meme
fleuve._ Or ces idees, c'est-a-dire les formes exemplaires, sont les
raisons (definitions) primitives des choses, elles ne recoivent ni
accroissement ni diminution; stables et perpetuelles, tout le monde
corporel perirait qu'elles ne pourraient mourir. Le nombre entier
des choses corporelles subsiste dans ces idees, et ainsi que me
semble l'etablir Augustin dans son livre sur le libre arbitre, comme
elles sont toujours, il a beau arriver que les choses corporelles
perissent, le nombre des choses n'en augmente ni ne diminue. Ce
que ces docteurs promettent est grand sans doute et connu des
philosophes amis des hautes contemplations, mais, comme Boece et
beaucoup d'autres auteurs l'attestent, rien n'est plus eloigne du
sentiment d'Aristote, car lui-meme, on le voit clairement par ses
livres, est tres-souvent contraire a ce systeme. Bernard de Chartres
et ses sectateurs ont pris beaucoup de peine pour mettre l'accord
entre Aristote et Platon; mais je pense qu'ils sont venus trop tard
et qu'ils ont travaille vainement pour reconcilier des morts qui
toute leur vie se sont contredits.
"Aussi un autre, pour exprimer Aristote, attribue-t-il, avec
Gilbert, eveque de Poitiers, l'universalite aux formes natives, et
il s'evertue pour expliquer leur uniformite[20]. Or la forme native
est l'exemple de l'original[21], et elle ne s'arrete pas dans
l'esprit de Dieu, mais
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