tions a
travers ce desert.
La route etait si ennuyeuse, que je m'endormis a plusieurs reprises.
J'avais etudie tres-consciencieusement la maniere de dormir en croupe
sans que le maitre s'en apercut. Bibi ne portait pas seulement l'homme
et l'enfant, il avait encore a l'arriere-train, presque sur la queue,
un portemanteau etroit, assez eleve, une sorte de petite caisse en
cuir ou ballottaient pele-mele les outils de maitre Jean et ses nippes
de rechange. C'est sur ce portemanteau que je me calais, de maniere
qu'il ne sentit pas sur son dos l'alourdissement de ma personne et
sur son epaule le balancement de ma tete. Il avait beau consulter le
profil que nos ombres dessinaient sur les endroits aplanis du chemin
ou sur les talus de rochers; j'avais etudie cela aussi, et j'avais,
une fois pour toutes, adopte une pose en raccourci, dont il ne pouvait
saisir nettement l'intention. Quelquefois pourtant, il soupconnait
quelque chose et m'allongeait sur les jambes un coup de sa cravache a
pomme d'argent, en disant:
--Attention, petit! on ne dort pas dans la montagne!
Comme nous traversions un pays plat et que les precipices etaient
encore loin, je crois que ce jour-la il dormit pour son compte. Je
m'eveillai dans un lieu qui me parut sinistre. C'etait encore un sol
plat couvert de bruyeres et de buissons de sorbiers nains. De sombres
collines tapissees de petits sapins s'elevaient sur ma droite et
fuyaient derriere moi; a mes pieds, un petit lac, rond comme un verre
de lunette,--c'est vous dire que c'etait un ancien cratere,--refletait
un ciel bas et nuageux. L'eau, d'un gris bleuatre, a pales reflets
metalliques, ressemblait a du plomb en fusion. Les berges unies de
cet etang circulaire cachaient pourtant l'horizon, d'ou l'on pouvait
conclure que nous etions sur un plan tres-eleve; mais je ne m'en
rendis point compte et j'eus une sorte d'etonnement craintif en voyant
les nuages ramper si pres de nos tetes, que, selon moi, le ciel
menacait de nous ecraser.
Maitre Jean ne fit nulle attention a ma melancolie.
--Laisse brouter Bibi, me dit-il en mettant pied a terre; il a besoin
de souffler. Je ne suis pas sur d'avoir suivi le bon chemin, je vais
voir.
Il s'eloigna et disparut dans les buissons; Bibi se mit a brouter les
fines herbes et les jolis oeillets sauvages qui foisonnaient avec
mille autres fleurs dans ce paturage inculte. Moi, j'essayai de me
rechauffer en battant la semelle. Bien que nous fussions en plein et
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