ce
dernier fragment, le lapidaire fit trois bagues qu'il vendit un franc
chacune. C'est tres-joli, une bague de cornaline, mais c'est vite
casse et perdu. Une seule existe encore, elle a ete donnee a une
petite fille soigneuse qui la conserve precieusement sans se douter
qu'elle possede la derniere parcelle du fameux marteau rouge, lequel
n'etait lui-meme qu'une parcelle de la roche aux fees.
Tel est le sort des choses. Elles n'existent que par le prix que nous
y attachons, elles n'ont point d'ame qui les fasse renaitre, elles
deviennent poussiere; mais, sous cette forme, tout ce qui possede la
vie les utilise encore. La vie se sert de tout, et ce que le temps et
l'homme detruisent renait sous des formes nouvelles, grace a cette fee
qui ne laisse rien perdre, qui repare tout et qui recommence tout ce
qui est defait. Cette reine des fees, vous la connaissez fort bien:
c'est la nature.
LA FEE POUSSIERE
Autrefois, il y a bien longtemps, mes chers enfants, j'etais jeune
et j'entendais souvent les gens se plaindre d'une importune petite
vieille qui entrait par les fenetres quand on l'avait chassee par les
portes. Elle etait si fine et si menue, qu'on eut dit qu'elle flottait
au lieu de marcher, et mes parents la comparaient a une petite fee.
Les domestiques la detestaient et la renvoyaient a coups de plumeau,
mais on ne l'avait pas plus tot delogee d'une place qu'elle
reparaissait a une autre.
Elle portait toujours une vilaine robe grise trainante et une sorte
de voile pale que le moindre vent faisait voltiger autour de sa tete
ebouriffee en meches jaunatres.
A force d'etre persecutee, elle me faisait pitie et je la laissais
volontiers se reposer dans mon petit jardin, bien qu'elle abimat
beaucoup mes fleurs. Je causais avec elle, mais sans en pouvoir tirer
une parole qui eut le sens commun. Elle voulait toucher a tout, disant
qu'elle ne faisait que du bien. On me reprochait de la tolerer, et,
quand je l'avais laissee s'approcher de moi, on m'envoyait laver et
changer, en me menacant de me donner le nom qu'elle portait.
C'etait un vilain nom que je redoutais beaucoup. Elle etait si
malpropre qu'on pretendait qu'elle couchait dans les balayures des
maisons et des rues, et, a cause de cela, on la nommait la fee
Poussiere.
--Pourquoi donc etes-vous si poudreuse? lui dis-je, un jour qu'elle
voulait m'embrasser.
--Tu es une sotte de me craindre, repondit-elle alors d'un ton
railleur: tu m'appartiens, e
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