sabots, se coupa l'orteil sur une des faces
encore tranchantes du marteau rouge. Il le ramassa, pensant en faire
des pierres pour son fusil, et l'apporta chez lui, ou il l'oublia dans
un coin. A l'epoque des vendanges, il s'en servit pour caler sa cuve;
apres quoi, il le jeta dans son jardin, ou les choux, ces fiers
occupants d'une terre longtemps abandonnee a elle-meme, le couvrirent
de leur ombre et lui permirent de dormir encore a l'abri du caprice de
l'homme.
Cent ans plus tard, un jardinier le rencontra sous sa beche, et,
comme le jardin du paysan s'etait fondu dans un parc seigneurial, ce
jardinier porta sa trouvaille au chatelain, en lui disant:
--Ma foi, monsieur le comte, je crois bien que j'ai trouve dans mes
planches d'asperges un de ces marteaux anciens dont vous etes curieux.
M. le comte complimenta son jardinier sur son _oeil_ d'antiquaire et
fit grand cas de sa decouverte. Le marteau rouge etait un des plus
beaux specimens de l'antique industrie de nos peres, et, malgre les
outrages du temps, il portait la trace indelebile du travail de
l'homme a un degre remarquable. Tous les amis de la maison et tous les
antiquaires du pays l'admirerent. Son age devint un sujet de grande
discussion. Il etait en partie degrossi et taille au silex comme les
specimens des premiers ages, en partie faconne et poli comme ceux
d'un temps moins barbare. Il appartenait evidemment a un temps de
transition, peut-etre avait-il ete apporte par des emigrants; a coup
sur, dirent les geologues, il n'a pas ete fabrique dans le pays, car
il n'y a pas de trace de cornaline bien loin a la ronde.
Les geologues n'oublierent qu'une chose, c'est que les eaux sont
des conducteurs de mineraux de toute sorte, et les antiquaires ne
songerent pas a se demander si l'histoire des faits industriels
n'etaient pas dementie a chaque instant par des tentatives
personnelles dues au caprice ou au genie de quelque artisan mieux
doue que les autres. La figure tracee sur la lame presentait encore
quelques lineaments qui furent soigneusement examines. On y voyait
bien encore l'intention de representer un animal. Mais etait-ce un
cheval, un cerf, un ours des cavernes ou un mammouth?
Quand on eut bien examine et interroge le marteau rouge, on le placa
sur un coussinet de velours. C'etait la plus curieuse piece de la
collection de M. le comte. Il eut la place d'honneur et la conserva
pendant une dizaine d'annees.
Mais M. le comte vint a mourir sans en
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