nturgue, je
serais bien empeche de vous le dire. Je n'y suis jamais retourne
depuis et je l'ai en vain cherchee sur les cartes et dans les
itineraires. Comme j'etais impatient d'arriver, la peur me gagnant
de plus en plus, il me sembla que c'etait fort loin de la roche
Sanadoire. En realite, c'etait fort pres, car il ne faisait pas nuit
noire quand nous y arrivames. Nous avions fait beaucoup de detours en
cotoyant les meandres du torrent. Selon toute probabilite, nous avions
passe derriere les montagnes que j'avais vues de la roche Sanadoire
et nous etions de nouveau a l'exposition du midi, puisqu'a plusieurs
centaines de metres au-dessous de nous croissaient quelques maigres
vignes.
Je me rappelle tres-bien l'eglise et le presbytere avec les trois
maisons qui composaient le village. C'etait au sommet d'une colline
adoucie que des montagnes plus hautes abritaient du vent. Le chemin
raboteux etait tres-large et suivait avec une sage lenteur les
mouvements de la colline. Il etait bien battu, car la paroisse,
composee d'habitations eparses et lointaines, comptait environ trois
cents habitants que l'on voyait arriver tous les dimanches, en
famille, sur leurs chars a quatre roues, etroits et longs comme des
pirogues et traines par des vaches. Excepte ce jour-la, on pouvait
se croire dans le desert; les maisons qui eussent pu etre en vue se
trouvaient cachees sous l'epaisseur des arbres au fond des ravins, et
celles des bergers, situees en haut, etaient abritees dans les plis
des grosses roches.
Malgre son isolement et la sobriete de son ordinaire, le cure de
Chanturgue etait gros, gras et fleuri comme les plus beaux chanoines
d'une cathedrale. Il avait le caractere aimable et gai. Il n'avait pas
ete trop tourmente par la Revolution. Ses paroissiens l'aimaient parce
qu'il etait humain, tolerant, et prechait en langage du pays.
Il cherissait son frere Jean, et, bon pour tout le monde, il me recut
et me traita comme si j'eusse ete son neveu. Le souper fut agreable
et le lendemain s'ecoula gaiement. Le pays, ouvert d'un cote sur les
vallees, n'etait point triste; de l'autre, il etait enfoui et sombre,
mais les bois de hetres et de sapins pleins de fleurs et de fruits
sauvages, coupes par des prairies humides d'une fraicheur delicieuse,
n'avaient rien qui me rappelat le site terrible de la roche Sanadoire;
les fantomes de titans qui m'avaient gate le souvenir de ce bel
endroit s'effacerent de mon esprit.
On me laissa co
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