de votre avis, s'ecria un gros pavot qui sentait
tres-fort. Les odeurs annoncent l'esprit et la sante.
Les rires couvrirent la voix du gros pavot. Les oeillets s'en tenaient
les cotes et les resedas se pamaient. Mais, au lieu de se facher, il
se remit a critiquer la forme et la couleur de la rose qui ne pouvait
repondre; tous les rosiers venaient d'etre tailles et les pousses
remontantes n'avaient encore que de petits boutons bien serres dans
leurs langes verts. Une pensee fort richement vetue critiqua amerement
les fleurs doubles, et, comme celles-ci etaient en majorite dans le
parterre, on commenca a se facher. Mais il y avait tant de jalousie
contre la rose, qu'on se reconcilia pour la railler et la denigrer. La
pensee eut meme du succes quand elle compara la rose a un gros chou
pomme, donnant la preference a celui-ci a cause de sa taille et de son
utilite. Les sottises que j'entendais m'exaspererent et, tout a coup,
parlant leur langue:
--Taisez-vous, m'ecriai-je en donnant un coup de pied a ces sottes
fleurs. Vous ne dites rien qui vaille. Moi qui m'imaginais entendre
ici des merveilles de poesie, quelle deception vous me causez avec vos
rivalites, vos vanites et votre basse envie!
Il se fit un profond silence et je sortis du parterre.
--Voyons donc, me disais-je, si les plantes rustiques ont plus de
bon sens que ces peronnelles cultivees, qui, en recevant de nous une
beaute d'emprunt, semblent avoir pris nos prejuges et nos travers.
Je me glissai dans l'ombre de la haie touffue, me dirigeant vers la
prairie; je voulais savoir si les spirees qu'on appelle reine des pres
avaient aussi de l'orgueil et de l'envie. Mais je m'arretai aupres
d'un grand eglantier dont toutes les fleurs parlaient ensemble.
--Tachons de savoir, pensai-je, si la rose sauvage denigre la rose a
cent feuilles et meprise la rose pompon.
Il faut vous dire que, dans mon enfance, on n'avait pas cree toutes
ces varietes de roses que les jardiniers savants ont reussi a produire
depuis par la greffe et les semis. La nature n'en etait pas plus
pauvre pour cela. Nos buissons etaient remplis de varietes nombreuses
de roses a l'etat rustique: la _canina_, ainsi nommee parce qu'on
la croyait un remede contre la morsure des chiens enrages; la rose
canelle, la musquee, la _rubiginosa_ ou rouillee, qui est une des plus
jolies; la rose pimprenelle, la _tomentosa_ ou cotonneuse, la rose
alpine, etc., etc. Puis, dans les jardins, nous avions des e
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