issement aigu d'un poulain retentit tout a coup dans la
steppe. De larges lueurs rouges apparurent au ciel. Boulba
s'eveilla soudain et se leva brusquement. Il se rappelait tout ce
qu'il avait ordonne la veille.
-- Assez dormi, garcons; il est temps, il est temps! faites boire
les chevaux. Mais ou est la vieille (c'est ainsi qu'il appelait
habituellement sa femme)? Vite, vieille! donne-nous a manger, car
nous avons une longue route devant nous.
Privee de son dernier espoir, la pauvre vieille se traina
tristement vers la maison. Pendant que, les larmes aux yeux, elle
preparait le dejeuner, Boulba distribuait ses derniers ordres,
allait et venait dans les ecuries, et choisissait pour ses enfants
ses plus riches habits. Les etudiants changerent en un moment
d'apparence. Des bottes rouges, a petits talons d'argent,
remplacerent leurs mauvaises chaussures de college. Ils ceignirent
sur leurs reins, avec un cordon dore, des pantalons larges comme
la mer Noire, et formes d'un million de petits plis. A ce cordon
pendaient de longues lanieres de cuir, qui portaient avec des
houppes tous les ustensiles du fumeur. Un casaquin de drap rouge
comme le feu leur fut serre au corps par une ceinture brodee, dans
laquelle on glissa des pistolets turcs damasquines. Un grand sabre
leur battait les jambes. Leurs visages, encore peu heles,
semblaient alors plus beaux et plus blancs. De petites moustaches
noires relevaient le teint brillant et fleuri de la jeunesse. Ils
etaient bien beaux sous leurs bonnets d'astrakan noir termines par
des calottes dorees. Quand la pauvre mere les apercut, elle ne put
proferer une parole, et des larmes craintives s'arreterent dans
ses yeux fletris.
-- Allons, mes fils, tout est pret, plus de retard, dit enfin
Boulba. Maintenant, d'apres la coutume chretienne, il faut nous
asseoir avant de partir.
Tout le monde s'assit en silence dans la meme chambre, sans
excepter les domestiques, qui se tenaient respectueusement pres de
la porte.
-- A present, mere, dit Boulba, donne ta benediction a tes
enfants; prie Dieu qu'ils se battent toujours bien, qu'ils
soutiennent leur honneur de chevaliers, qu'ils defendent la
religion du Christ; sinon, qu'ils perissent, et qu'il ne reste
rien d'eux sur la terre. Enfants, approchez de votre mere; la
priere d'une mere preserve de tout danger sur la terre et sur
l'eau.
La pauvre femme les embrassa, prit deux petites images en metal,
les leur pendit au cou en sanglota
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