re chose, a souhaiter l'emotion, a se precipiter dans
l'inconnu des faits ou des idees: generation heureuse, en somme, bien
que deja remuee par des pressentiments obscurs. Une vague idee de
reforme ou de renovation sociale, plus ardente que precise, planait dans
beaucoup d'esprits, agites sans trop savoir pourquoi. C'etait le temps
ou un jeune homme "ayant le tourment des choses divines", comme disait
George Sand, pouvait se donner la joie d'entendre, dans la meme journee,
les appels splendides de Lacordaire a Notre-Dame, et, le soir,
l'emouvante voix de Mlle Rachel au Theatre-Francais dans quelque grande
tragedie, ou bien encore s'enivrer de la prose exquise et presque
rythmee d'Alfred de Musset, revele sur la meme scene. On lisait quelque
grande et profonde poesie de Victor Hugo sur la mort recente de sa
fille; on discutait sur tel ou tel portrait des _Girondins_ de
Lamartine; on devorait _la Mare au Diable_, ce petit chef-d'oeuvre de
poesie rustique qui rachetait par son charme l'erreur prolixe du
_Meunier d'Angibault_.
C'etait un temps sature d'idees et d'emotions, singulierement
caracterise par un de ces grands poetes qui disait alors: "La France
s'ennuie", et, chose plus singuliere, qui le lui faisait croire,
confondant l'ennui avec la secrete fermentation des esprits, mecontents
du present qui ne leur donnait pas assez d'emotions.
Je prends les annees deja lointaines de 1846 et 1847, parce qu'elles
marquent l'apogee d'influence et de gloire ou s'eleva le nom de George
Sand, une gloire formee dans la tempete. On n'a pas perdu le souvenir
des polemiques exaltees dont George Sand etait alors l'occasion ou le
pretexte. Doit-on s'etonner, si l'on y reflechit, que cette renommee
brillante et orageuse oscillat, au souffle des opinions contraires,
entre l'admiration et l'anatheme? Bien peu d'esprits gardaient la mesure
a son egard. C'etaient tantot des fureurs justicieres et vengeresses
contre une reformatrice audacieuse, tantot une idolatrie lyrique comme
les oeuvres qui en etaient l'objet, une acclamation bruyante en
l'honneur des idees et des principes confondus, dans une sorte
d'apotheose dereglee, avec la puissance de l'inspiration et la beaute du
style. Toutes ces passions sont bien tombees aujourd'hui. Il y a place
maintenant, a ce qu'il semble, au milieu d'une indifference reelle ou
affectee, pour un jugement plus impartial, peut-etre pour une admiration
mieux raisonnee et plus libre. En tout cas, s'il est vra
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