ns lui preparerent
le meilleur repas que pouvaient fournir nos provisions; pendant qu'ils
cuisinaient, nous l'habillames des pieds a la tete, Hillyer et moi; nos
vetements neufs lui donnaient un air de petit vieux bien tenu et
respectable. "Vieux" est bien le mot, car il le paraissait avec son
affaissement, la blancheur de ses cheveux, et les ravages que les
chagrins avaient faits sur son visage; et, pourtant, il etait dans la
force de l'age. Pendant qu'il mangeait, nous fumions et causions;
lorsqu'il eut fini, il retrouva enfin l'usage de la parole et, de son
plein gre, nous raconta son histoire. Je ne pretends pas reproduire ses
propres termes, mais je m'en rapprocherai le plus possible dans mon
recit:
HISTOIRE D'UN INNOCENT
"Voici ce qui m'arriva:
"J'etais a Denver, ou je vivais depuis de longues annees: quelquefois,
je retrouve le nombre de ces annees, d'autres fois, je l'oublie, mais
peu m'importe. Seulement, on me signifia d'avoir a partir, sous peine
d'etre accuse d'un horrible crime commis il y a bien longtemps, dans
l'Est. Je connaissais ce crime, mais je ne l'avais pas commis; le
coupable etait un de mes cousins, qui portait le meme nom que moi.
"Que faire? Je perdais la tete, ne savais plus que devenir. On ne me
donnait que tres peu de temps, vingt-quatre heures, je crois. J'etais
perdu si mon nom venait a etre connu. La population m'aurait lynche sans
admettre d'explications. C'est toujours ce qui arrive avec les
lynchages; lorsqu'on decouvre qu'on s'est trompe on se desole, mais il
est trop tard... (vous voyez que la meme chose est arrivee pour M.
Holmes). Alors, je resolus de tout vendre, de faire argent de tout, et
de fuir jusqu'a ce que l'orage fut passe; plus tard, je reviendrais avec
la preuve de mon innocence. Je partis donc de nuit, et me sauvai bien
loin, dans la montagne, ou je vecus, deguise sous un faux nom.
"Je devins de plus en plus inquiet et anxieux; dans mon trouble je
voyais des esprits, j'entendais des voix et il me devenait impossible de
raisonner sainement sur le moindre sujet; mes idees s'obscurcirent
tellement que je dus renoncer a penser, tant je souffrais de la tete.
Cet etat ne fit qu'empirer. Toujours des voix, toujours des esprits
m'entouraient. Au debut, ils ne me poursuivaient que la nuit, bientot ce
fut aussi le jour. Ils murmuraient a mon oreille autour de mon lit et
complotaient contre moi; je ne pouvais plus dormir et me sentais brise
de fatigue.
"Une nuit, les
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