'il pouvait,--si le temps etait
propice et l'atmosphere calme,--atteindre son but a chaque coup. Il
excellait a planter une balle dans un arbre a condition toutefois que
l'arbre ne fut pas trop eloigne. Naturellement, l'arbre devait aussi
offrir une certaine surface!
Inutile de dire que je n'etais pas a cette epoque un chasseur emerite.
Il y a quelques annees, j'avais tue un rouge-gorge dans des
circonstances particulierement humiliantes. L'oiseau se tenait sur une
branche tres basse de cerisier. Je chargeai mon fusil, me glissai sous
l'arbre, j'appuyai mon arme sur la haie, en placant la bouche a dix pas
de l'oiseau, je fermai les yeux et tirai! Lorsque je me relevai pour
voir le resultat, le malheureux rouge-gorge etait en miettes,
eparpillees de tous les cotes, et si imperceptibles que le meilleur
naturaliste n'aurait jamais pu determiner a quelle famille appartenait
l'oiseau.
Cet incident me degouta a tout jamais de la chasse; si j'y fais allusion
aujourd'hui, c'est uniquement pour prouver au lecteur que malgre mon
arme je n'etais pas un ennemi redoutable pour l'ours.
On avait deja vu des ours dans ces parages, a proximite des muriers.
L'ete precedent, notre cuisiniere negre, accompagnee d'une enfant du
voisinage, y cueillait des mures, lorsqu'un ours sortit de la foret, et
vint au-devant d'elle. L'enfant prit ses jambes a son cou et se sauva.
La brave Chloe fut paralysee de terreur; au lieu de chercher a courir,
elle s'effondra sur place, et se mit a pleurer et a hurler au perdu.
L'ours, terrorise par ces simagrees, s'approcha d'elle, la regarda, et
fit le tour de la bonne femme en la surveillant du coin de l'oeil. Il
n'avait probablement jamais vu une femme de couleur, et ne savait pas
bien au fond si elle ferait son affaire; quoi qu'il en soit, apres
reflexion, il tourna les talons et regagna la foret. Voila un exemple
authentique de la delicatesse d'un ours, beaucoup plus remarquable que
la douceur du lion africain envers l'esclave auquel il tend la patte
pour se faire extirper une epine. Notez bien que mon ours n'avait pas
d'epine dans le pied.
Lorsque j'arrivai au haut de la colline, je posai ma carabine contre un
arbre, et me mis en devoir de cueillir mes mures, allant d'une haie a
l'autre, et ne craignant pas ma peine pour remplir consciencieusement
mon seau. De tous cotes, j'entendais le tintement argentin des
clochettes des vaches, le craquement des branches qu'elles cassaient en
se refugiant sous
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