a pris son vol vers les nuages, ou je ne puis
l'atteindre. Je ne voulais pas et je ne veux pas ecrire: ecrire accuse
trop les torts des absents. Je ne veux pas non plus m'expliquer
directement avec Obernay sur le compte de mademoiselle Juste. Il lui est
tres attache et ne manquerait pas de lui donner raison contre moi. Nous
nous froisserions mutuellement, comme cela est arrive deja. Puisque je
ne puis attendre M. de Valvedre ici, je vous charge au moins d'expliquer
a Henri le motif en apparence si inquietant et si mysterieux de mon
voyage. S'il aime Paule, il fera quelque effort pour hater son mariage
et ma delivrance. J'ai dit. Oubliez-moi et portez-vous bien.
En achevant cette explication sur un ton d'enjouement qui refoulait un
profond sanglot, elle me tendit la main et se leva pour me quitter.
Je la retins.
--Je vous jure, m'ecriai-je, que vous ne partirez pas, que vous
attendrez M. de Valvedre ici, et que vous menerez a bien un projet qui
n'a rien que de legitime et de raisonnable. Je vous jure que Moserwald,
s'il ne part pas, n'osera plus lever les yeux sur vous, car Obernay et
moi l'en empecherons. Nous en avons le droit, puisque Obernay va devenir
votre beau-frere, et que je suis son _alter ego_, vous l'avez dit. Notre
devoir est donc de vous defendre et de ne pas meme souffrir qu'on vous
importune. Je vous jure enfin qu'Henri ne prendra pas obstinement le
parti d'une autre personne qui vous deplait et qui ne peut pas avoir
raison contre vous. Henri aime ardemment sa fiancee, je ne crois pas a
la patience qu'il affecte; de grace, madame, croyez en nous, croyez en
moi: je comprends l'honneur que vous venez de me faire eu me parlant
comme a quelqu'un de votre famille, et, des ce jour, je vous suis devoue
jusqu'a la mort.
La chaleur de mon zele ne parut pas effrayer madame de Valvedre: elle
avait pleure, elle etait brisee; elle sembla se laisser aller
instinctivement au besoin de se fier a un ami. Je ne comprenais pas,
moi, qu'une femme si ravissante, si fiere et si douce en meme temps, fut
isolee dans la vie a ce point d'avoir besoin de la protection d'un
enfant qu'elle voyait pour la premiere fois. J'en etais surpris, indigne
contre son mari et sa famille, mais follement heureux pour mon compte.
En la quittant, je me rendis chez Moserwald.
--Eh bien, lui dis-je, ou en sommes-nous? Nous battrons-nous?
--Ah! vous arrivez en fier-a-bras, repondit-il, parce que vous croyez
peut-etre que je reculerais?
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