e faites, car je perds patience, je vous en avertis.
Je parlais avec tant de fermete, que Moserwald se deconcerta. Il resta
pensif un instant; puis il repondit, avec un beau et franc sourire qui
me le montra sous un jour nouveau, tout a fait inexplicable.
--Vous ne le devinez pas, enfant, mon calcul? C'est que vous voulez voir
un calcul ou il n'y en a pas! C'est un elan et une inspiration tellement
naturels...
--Vous voulez acheter ma reconnaissance?
--Precisement, et cela pour que vous ne parliez pas de moi avec aversion
et mepris a cette femme que j'aime... Vous refusez mes services?
N'importe! vous ne pourrez pas oublier avec quelle courtoisie je vous
les ai offerts, et un jour viendra ou vous les reclamerez.
--Jamais! m'ecriai-je indigne.
--Jamais? reprit-il. Dieu lui-meme ne connait pas ce mot-la; mais, pour
le moment, je m'en empare: c'est un aveu de plus de votre amour!
Je sentis que, quelle que fut mon attitude, legere ou serieuse, je
n'aurais pas le dernier mot avec cet homme bizarre, tetu autant que
souple, et naif autant que ruse. Je brulai devant lui son blanc-seing;
mais je ne sais avec quel art il tourna la fin de notre entretien. Il
est de fait qu'en le quittant je m'apercus qu'il m'avait force de le
remercier, et que, venu la en humeur de le battre, je m'en allais en
touchant la main qu'il me tendait.
Il partit au point du jour, laissant notre hote et tous les gens de la
maison et du village enthousiasmes de sa generosite. Il n'eut pas fait
bon le traiter de juif devant eux; je crois qu'on nous eut lapides.
Je ne saurais dire si je dormis mieux cette nuit-la que les precedentes.
Je crois qu'a cette epoque j'ai du passer des semaines entieres sans
sommeil et sans en sentir le besoin, tant la vie s'etait concentree dans
mon imagination. Le lendemain, Paule et Obernay vinrent dejeuner dans la
salle basse avec Alida. Ils avaient force madame de Valvedre a une
explication qui, contrairement aux previsions de celle-ci, n'avait amene
aucun orage. Il est bien vrai qu'Henri avait defendu le caractere et les
intentions de mademoiselle Juste; mais Paule avait tout apaise en
declarant que sa soeur ainee avait outre-passe son mandat, qu'au lieu de
se borner a soulager madame de Valvedre des soins de la famille et du
menage, elle avait usurpe une autorite qui ne lui appartenait pas, en un
mot qu'Alida avait raison de se plaindre, et qu'elle-meme avait souffert
une certaine persecution tres-injuste et
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