ire de sa voix des rappels a l'ordre: "A quoi pensez-vous
donc, mon enfant? Ne vous abandonnez pas aux fantaisies de la reverie,
n'est-ce pas?"
Quand on a soeurs, amis, camarades, confidents, on peut n'etre pas
bavard avec soi-meme; mais des confidents elle n'en avait pas d'autres
que cette partie du jardin et du parc que de cette fenetre son
regard embrassait. Sans doute, de dedans son lit, elle eut pu bien
tranquillement se confesser a quelque coin de sa chambre ou a quelque
meuble, mais ils n'eussent ete que de muets confesseurs, tandis que le
jardin et le parc etaient des etres vivants qui lui parlaient. Que la
neige couvrit la terre de son drap blanc, qu'au contraire le parfum des
orangers passat dans l'air tiede, pourvu que la lune brillat, c'etaient
de longues conversations qu'elle engageait avec ces arbres et ces
statues: elle leur disait ce qu'elle avait dans le coeur ou dans
l'esprit, et ils lui repondaient; et toujours elle les trouvait en
accord avec ses sentiments: triste, ils etaient tristes aussi: "Tu te
plains d'etre abandonnee; mais nous? Tu te plains de ta solitude; mais
la notre? Tu penses melancoliquement au present et a l'avenir en te
rappelant le passe; et nous?"
Mais, ce soir-la, ce ne fut pas par des plaintes que ses confidents
lui repondirent. Comme ils s'etaient associes a ses tristesses, ils
s'associerent a ses esperances: on allait donc revoir les fetes
d'autrefois; les promenades des amis dans les allees; les danses dans
les charmilles illuminees; les joyeuses cavalcades qui traverseraient le
parc pour gagner le rendez-vous de chasse dans la foret.
L'entretien se prolongea, et la nuit etait si douce, eclairee par
la pleine lune de mai, parfumee par les senteurs des roses et des
chevrefeuilles, qu'il etait tard lorsqu'elle se decida a fermer
doucement sa fenetre et se mettre su lit. Mais le sommeil ne vint pas
tout de suite, et quand a la fin elle s'endormit, ce fut pour continuer
son reve de la soiree.
Le temps avait marche: on celebrait son mariage avec le comte d'Unieres,
dans l'eglise Saint-Francois Xavier; elle avait la toilette ordinaire
des mariees, la robe de satin blanc et le voile en point d'Alencon. Mais
le comte etait en prince Charmant, celui de la _Belle au Bois dormant_,
tel qu'elle l'avait vu dans les dessins de Dore: justaucorps de satin
rose, toque a plumes, epee; en meme temps, par un dedoublement de
personnalite tout naturel dans un songe, elle assistait au bapteme
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