emme de la justice de paix; aussitot que M.
de Chambrais l'eut quittee, elle s'occupa a reunir tout ce qu'elle put
trouver de musique non reliee.
Surprise de cet empressement, lady Cappadoce voulut savoir ce qu'elle
faisait la, et Ghislaine le lui expliqua.
--Comment! s'ecria le gouvernante, vous allez donner votre musique a
relier a des gens qui n'ont pas de travail; mais s'ils n'ont pas de
travail c'est qu'ils sont de mauvais ouvriers, et votre musique sera
perdue. Croyez-moi, laissez une aumone si vous tenez a lui faire du
bien.
--Elle ne demande pas l'aumone.
--Si elle est reduite a la misere que vous dites, comment voulez-vous
qu'elle achete ce qui doit entrer dans ces reliures: la peau, le carton,
le papier?
--Vous avez raison, je vais lui laisser une avance pour qu'elle puisse
faire ces achats.
--Et dans la note qu'elle ecrivait pour indiquer comment elle voulait
que ces reliures fussent faites, elle plia un billet de cent francs.
A cinq heures, un coupe attele en poste vint se ranger devant le perron,
car pour aller a Chambrais, qui se trouve entre Orsay et Montlhery, ou
pour venir de Chambrais a Paris, ce n'etait point l'habitude qu'on prit
le chemin de fer: quatre postiers etaient attaches a ce service, et en
leur laissant un jour de repos sur deux, ils battaient les locomotives
de Sceaux--ce qui d'ailleurs n'est pas bien difficile.
Quand lady Cappadoce s'etait trouvee exclue du tete-a-tete que M. de
Chambrais avait voulu se menager avec Ghislaine, elle avait compte sur
ce voyage pour apprendre ce qui s'etait dit dans cette longue promenade
autour du jardin. Et ce n'etait pas une curiosite vaine qui la poussait,
le seul desir de savoir pour savoir, c'etait son interet.
Maintenant que Ghislaine etait emancipee, qu'allait-il se passer?
Etait-ce d'un projet de mariage que M. de Chambrais l'avait entretenue?
La question. etait pour elle capitale. Bien qu'elle montrat une navrante
mortification d'en etre reduite, elle, une lady, a vivre dans une
position subalterne, en realite, elle tenait a cette position qui
n'etait pas sans avantages. Et bien qu'elle affectat aussi de n'avoir
que du dedain pour la France, le pays, ses moeurs et ses usages, en
realite elle tenait beaucoup a ne pas quitter cette France detestee pour
retourner dans son Angleterre adoree. Superbe, l'Angleterre, admirable,
incomparable pour tout... mais de loin. En somme, si malheureuse qu'elle
fut, elle ne craignait rien tant que
|